C'est ma première oeuvre littéraire, elle est inachevée et il ne s'agit que du début, mais j'espère que cela deviendra un roman complet qui sera édité ^^
~Les Chroniques du Phénix~
Le feu brûlait intensément, réchauffant d'une manière assez agréable la résidente de la tour.
Assise sur son vieux fauteuil fabriqué à l'aide d'une ancienne technologie remise dernièrement à la mode, surtout grâce au confort que pouvait fournir le mobilier, et également à sa façon de s'intégrer facilement dans le logement avec les différentes fourrures que les vendeurs proposaient à leur client d'utiliser comme couverture, la jeune demoiselle lisait un grimoire, peut-être aussi vieux que le fauteuil lui-même, c'est-à-dire une bonne cinquantaine d'années. Contrairement aux croyances régionales, ces bouquins ne recèlent pas toujours des sortilèges, des rituels ou d'autres invocations magiques, c'est avant tout un livre où l'auteur y écrit son savoir, une ressource dotée de qualités incroyables à qui savait les comprendre et les utiliser.
Poussant un soupir de lassitude, elle fermait le recueil qui lui servait principalement de loisir journalier ces temps-ci avant de quitter le fauteuil qui, dans son élan, poussait un gémissement plaintif, un peu comme un grincement de porte. Poussée par la curiosité, elle passait entre les collines d'objets runiques, des artefacts, d'autres livres, certains uniques, des bibelots, des outils en tout genre, des ustensiles de cuisines qu'elle n'utilisait jamais, des parchemins enroulés contenant le savoir d'un ingénieur oublié ou volé, des urnes contenant des poussières pour certaines d'origines inconnues, des miroirs brisés, des épées émoussées, des haches et massues rouillées, des boucliers usés ou fracassés, de quoi, après un passage à la forge, de remplir l'arsenal de la caserne de la ville. Le plus intéressant était tous ces bidules enchantés, maudits, purifiés ou purgés, disposant de compétences incroyables, dans le sens positif comme négatif, des petits rouleaux d'un papier spécial, censé ne pas se faire dévorer par la vermine, contenant des connaissances à moitié oubliées. En bref, c'était un vrai bazar, un véritable capharnaüm, mais cette femme n'en avait cure.
Une fois avoir traversé ce tas de débris, elle s'appuya avec ses coudes sur le rebord de la fenêtre pour mieux voir la vue sur laquelle elle donne. Une grande ville, éclairée en plein jour, on pouvait voir, malgré la hauteur de l'étage à laquelle elle se trouvait, les passants, les touristes, les marchands et les soldats marcher dans les rues de la cité, tels des fourmis grouillant dans les tunnels de leur sombre repère. Depuis sa position, elle pouvait entendre le piaillement de tous ces habitants, et pas parce qu'elle avait une bonne ouïe, elle ne devait pas ce chahut à ça, mais vraiment parce que, en bas, tout le monde essayait de se faire entendre par tout le monde, on entendant le vendeur de poisson hurler haut et fort que le sien était frais, des crieurs publiques venant annoncer les bonnes et mauvaises nouvelles, des fous religieux s'approchant des foules pour leur cracher dessus leurs sermons, prônant du mieux qu'on pouvait que seuls les Dieux pourront offrir un avenir meilleur à ceux qui se soumettront aux Règles. Enfin bref, une certaine routine, comme d'habitude, rien n'a changé.
Rien n'a changé... Et pourtant, ce monde sera bouleversé de l'intérieur, il suffit d'une petite étincelle pour mettre le feu aux poudres, d'une goutte d'eau pour faire déborder le vase, il suffit du simple déclic qu'attend ce royaume pour sombrer, comme l'a fait le précédent, celui dont la jeune fille, contemplant tous ces mortels sous ses yeux, était d'origine. Pour elle, ceux en bas ne sont que des humains, elle n'en savait rien de plus, sinon que leur peuple est d'un narcissisme rare dans ce monde, égoïstes, radins, avares mais surtout sadiques et cruels, prêts à tout pour le moindre bénéfice qu'ils pourront apporter à leur nombril. Le plus drôle dans l'histoire, c'est quand même qu'elle ait décidé d'œuvrer pour le bien de ce peuple, et ce, depuis combien de temps ?... Trop longtemps pour qu'elle ait envie de compter les années.
Après tout, elle est l'une des derniers phénix.
« Avant, nous étions des milliers de centaines,
Notre propre pouvoir décima notre civilisation,
A présent, nous ne sommes plus qu'une dizaine,
Pourchassés par les nouvelles générations.»
Phenoxia, « Les complaintes des Anciens »
~Chapitre 1
Premier tour~
-Rattrapez-la !
C'était le capitaine de l'escouade chargé de capturer une fugitive. D'après les rapports, elle serait suspectée de braconnage d'outils magiques. On s'était occupé de faire taire l'affaire, surtout avec les conséquences que tout cela avait provoquées. Mais les effets politiques ne le dérangeait pas, c'était plutôt cette femme qu'il poursuivait avec ses soldats et ses chiens qui l'inquiétait, déjà parce que si les rumeurs sur sa personne s'avéraient être vraies, ce serait risqué de poursuivre une sorcière, de plus, on s'éloignait bien trop de la civilisation, la forêt était le seul repère naturel que les humains évitaient, d'où la cause des travaux de déboisement fraîchement entrepris. Apparemment, les ouvriers dormaient beaucoup. Ils étaient six à poursuivre une magicienne aux talents inconnus, accompagnés de trois chiens dressés à la poursuite des criminels et aux combats contre les plus téméraires.
-Capitaine Sagloffon ! Les chiens ont pisté une trace !
Bingo, il y a même des traces de pas sur le sol ! S'écriait l'interpelé. Avec ça, ils pouvaient être certains de la rattraper beaucoup plus rapidement. Sorcière ou pas, même un ivrogne aurait pu aisément suivre le sentier quelle ouvrait devant elle, remarqua-t-il. N'empêche, si ce serait un piège, ils seraient tombés dedans depuis longtemps, déjà ! Poursuivant leur chemin malgré des protestations naissantes, Sagloffon ordonna de lâcher les chiens. Aboyant avec rage et férocité, les cabots se mirent à galoper en direction de leur cible. Vu leur vitesse, ils ne devraient pas tarder à l'avoir rattrapé. Cette fois, on les entendait grogner, faisant apparaître un sourire triomphant sur les lèvres du capitaine, il avait appris que lorsque les chiens grognaient, c'est qu'ils étaient assez proches de la recherchée pour au moins la mordre. Ce qu'ils virent dépassa leurs attentes. Une énorme explosion apparu plus loin, dans la forêt, le souffle propulsa plus d'un soldat à terre, tandis que le vent chaud que cela apportait leur glaçait le sang, pour couronner le tout, on entendait le couinements des chiens, peut-être étaient-ils tout simplement effrayés et avaient déguerpi. Alors que l'escouade approchait de la scène, ils commençaient à faire remarquer une drôle d'odeur dans l'air : le parfum de la cendre.
Des squelettes sur le sol, encore un peu recouvert de chair calcinée, ayant abandonné leur couleur blanche à la brûlure des flammes. C'était sans y douter ce qui restait des chiens.
-C'est... L'œuvre de cette sorcière ?
-Sans aucun doute...
Un jeune soldat eut l'idée de sortir des rangs.
-C'est du suicide que de continuer à la poursuivre !
Il fut rapidement remit à sa place par son chef, mais cela ne calmait en rien les nerfs des autres recrues.
-On va tous mourir !
-Elle est va nous tuer !
-Silence dans les rangs ! Bon sang, bande de jeunes voyous écervelés, vous n'allez pas me dire que vous avez peur d'un peu de magie ?!
Ce peu de magie avait quand même créé une nouvelle clairière dans cette sombre forêt, même si ça sentait un peu le cramé.
-Et alors ? On nous a confié des talismans d'anti-magie, c'est censé nous protéger contre ça !
Ces bijoux n'étaient pas de derniers cri, mais technologiquement fiable. Un peu plus rassuré, l'escouade continua son escale. De faibles balbutiements signalaient que certains d'entre eux étaient encore sous le choc, et l'odeur empestant de la cendre commençait à devenir une gêne trop flagrante, ce qui les encouragea d'avantage à poursuivre leur route.
Un peu plus loin, un homme envoyé en tant que sentinelle fit une belle découverte qu'il se pressa de rapporter à son capitaine. Apparemment, porter une sorte de robe rouge ne facilitait pas la marche pédestre de notre amie la fugitive qui avait dû laisser derrière elle un indice trahissant son passage. Une fois sur le lieu-dit, malgré le manque d'empreinte, chacun put aisément deviner la direction choisie par leur recherchée. On entendait au loin l'écoulement de l'eau d'une rivière, filant entre les rochers à une vitesse dangereuse, on avait d'ailleurs construit un pont solide et techniquement fiable pour rejoindre les deux rives, c'était en réalité un ingénieux système de disposition de roches triangulaires, polies et aiguisées finement, l'un des sommets pointés contre le courant pour dévier ce dernier, tandis que la face opposée est plaquée contre des dalles où la rivière peut passer au travers à l'aide de quelques espacements entre les pierres de forme carré. Traverser ce pont en charrette est quelque peu difficile, mais avec un peu d'acharnement, les cheveux peuvent être capable d'éviter de se faire emporter, tout a été calculé, même la hauteur des rochers façonnés pour cette utilisation a été prévu en cas de marée haute.
Le pont est loin d'être couvert ou protégé, il n'y a même pas de rambardes, sans doute à cause d'un problème de monnaie, cependant, cela aida grandement l'escouade pour retrouver leur magicienne renégate. Elle semblait hésiter, au milieu de cette rivière déchaînée, à continuer ou à revenir. Tout le monde tenait leur pendentif à pleine main, craignant un piège. Leur sang ce glaça quand elle les aperçut, en même temps, quand quelqu'un est capable de souffler vos cendres en un instant, on prie pour que la magie de leur bijou fonctionne. Le chef s'approcha de la berge afin de mettre un pied sur le pont, histoire d'être assez prêt pour lui faire une remarque.
-Vous ! La magicienne, vous êtes en état d'arrestation pour suspections de braconnage et d'utilisation illicite de la magie !
L'interpelée se retourna à nouveau, jetant un coup d'œil vers l'autre rive, avant de se décider de mettre fin à cette course poursuite, se rendant auprès du capitaine, marchant d'une manière gracieuse, si on ne la connaissait pas, on aurait pu la confondre avec une membre d'une famille de nobles. Beaucoup de soldats empoignèrent le pommeau de leur épée d'une main, tenant toujours de l'autre leur pendentif d'anti-magie. Bon, et maintenant ? Personne n'osait parler, les troupes attendaient que leur chef menottaient la recherchée, Sagloffon attendait une quelconque menace de la part de la fugitive, quant à cette dernière, elle conservait son mutisme, et cela commençait à agacer les soldats.
-Chef, vous croyez qu'elle prépare quelque chose ?
-Elle nous aurait déjà balancé la sauce, je crois.
Celle qu'on craignait ne put s'empêcher de glousser timidement, ce qui ne calmait en rien l'atmosphère, car tous connaissaient le pouvoir de la magie. Essence naturelle formidable, la magie a ouvert bien des voies au monde, aux débuts de son utilisation, lorsqu'on apprit à la consommer pour la faire se transformer en un sortilège. Cependant, c'est un effluve compliqué à obtenir, car pour en avoir, il faut avant tout trouver de l'orichalque, autrefois rare, aujourd'hui achetable dans n'importe quelle boutique de sorcellerie, et la synthétiser pour en extraire le produit brut qui servira aux incantations. D'après des calculs, un quart de livre de cette gemme d'un rouge pâle et transparent permettrait de projeter une boule de feu d'un pied de diamètre. Quant aux syllabes nécessaires, un véritable dictionnaire a été conçu pour les novices, mais les règles doivent être enseignées par un maître en la matière, ce que beaucoup de personnes préfèrent éviter, d'où le nombre de mages renégats qui sèment la pagaille partout dans le monde.
-Il n'y a pas qu'en prononçant de belles phrases incompréhensibles qu'on peut faire de la magie, chuchotait le capitaine à ses camarades de chasse, en faites, tant que ça a été prononcé quelque part, ça marche. Et ça compte aussi dans l'écriture.
Comme pour détendre l'atmosphère, leur recherchée leva la main pour leur faire signe, certains prirent cela pour une menace de mort et reculèrent d'un bon pas, poussant un petit cri de frayeur, ce qui arracha un autre gloussement, plus moqueur, de la jeune femme. Ses longs cheveux bruns ondulaient jusque sous ses épaules, son corps élancé portait une longue robe rouge, décorés de symboles inconnus, sans doute magiques ou sortis de la tête d'une capricieuse enfant qui voulait quelque chose d'original, également brodés de fils couleur or, comme le col qui était serti de petites perles rouges, peut-être des rubis, son visage était joli à observer, avec un menton et un petit nez pointus qui faisaient ressortir les fossettes qui apparaissaient lorsqu'elle souriait, accentuant le charme de cette magnifique créature dont on remerciera dame Nature d'avoir eu l'idée de la concevoir. Après un hoquet de surprise, elle fit apparaître un vieux parchemin à travers un maigre nuage rouge qu'elle tendit à Sagloffon, ce dernier eut lui aussi un hoquet de surprise lorsqu'il put y lire son nom et son grade à côté d'un « Bonjour » bien écrit. Sa surprise ne se finissait pas là, en effet, juste en dessous s'écrivait lentement une phrase à l'encre couleur braise, cette fois, c'était juste elle qui se présentait.
« Bonjour, Cpt. Sagloffon,
Je m'appelle Phenoxia.»
~P~
Le feu brûlait toujours à l'intérieur de la cheminée, réduisant en cendre les buches qui servent de combustibles. Plusieurs paires de mains profitèrent du foyer réchauffant pour s'en rapprocher afin de se dégeler les articulations, car, contre toutes attentes, le climat était bien plus frigorifiant que les autres fois. Dans les Hautes montagnes, la neige était un quotidien pour tout le monde, et les tempête un simple coup de vent pour les habitués, les flocons comme les grêlons n'étaient que des jouets pour les enfants et un défis pour les chasseurs, rapportant le butin journalier pour le faire cuire. Cependant, personne ne voulait sortir aujourd'hui, du moins, pour l'instant, puisque tant que la tempête de glace fera rage à l'extérieur, il n'y aura pas de festin bien cuisiné. Les plus téméraires patientaient inlassablement, observant ce déchaînement qui semblait naturel, tandis que les plus fragiles, jeunes garnements, vieux séniles et femmes, grignotèrent de petites baies, des branches ou des feuilles de leurs cueillettes. Le vent frappait aux fenêtres, manquant de faire battre les volets qui étaient noués par une corde.
Pendant ce temps, sur une chaise, hésitant entre la curiosité et l’effroi, un petit garçon, blotti contre sa mère, se faisait bercé par cette dernière pendant qu'il scrutait l'environnement extérieur, la tempête de neige balayant le paysage montagnard. Ces anormalités météorologiques étaient apparues seulement une ou deux semaines plus tôt, et personne ne savait ce qui avait bien pu déclencher ça. Certains qui se prétendaient être devins affirmèrent que ce devait être le caprice d'une de leur divinité de leur panthéon, d'autres, d'une secte plus druidique, assurèrent que c'était les esprits de la montagne qui se vengeait qu'on détruisait la faune et la flore à force d'expansion du territoire et de parties de chasses, aucun idéal ne trouvait de nouveaux partisans, peut-être principalement parce que les gens d'ici s'en fichent de savoir pourquoi les évènements s'empirent de jour en jour. Murmurant une douce mélodie aux oreilles de son fils, elle ne put s'empêcher de remarquer que son visage reflétait le désir de répondre à une question.
-Quelque chose ne va pas ?
D'une innocence infantile, l'interrogé riva son regard vers sa mère. Effectivement, il avait bien une question à poser, bien une...
-Dis maman, pourquoi il neige beaucoup dehors ?
À vrai dire, elle s'attendait à cette réponse. D'après des rumeurs, contait-elle, cela n'arrivait que pendant quelques mois, et ce, chaque année, mais ce n'est pas la seule histoire qu'on raconte sur ce phénomène. On raconte également comme quoi se serait une mise à l'épreuve, érigée par les dieux pour vérifier si leurs fidèles conservaient leurs forces afin de s'assurer qu'ils méritaient toujours leurs bénédictions. Une autre histoire jetait la faute sur des malandrins qui s'amusaient à gaspiller leur magie à accentuer les tempêtes, de temps en temps, sans doute pour embêter ceux qui vivent ici.
-Il y aurait une dernière rumeur, également, comme quoi se serait une créature magique qui, rôdant dans les montagnes, soulèverait la neige pour dissimuler son passage. Personne ne sait si cela est vrai, mais...
Elle fut interrompue par une violente bourrasque qui arracha les volets de leurs gonds, les flocons, emportée par la tempête, s'engouffrait à une vitesse inquiétante dans la petite bâtisse de pierre. La fenêtre finit par être engloutie sous toute cette poudreuse, bloquant ainsi cette faille problématique, mais l'intérieur de l'habitat de pierre était plus que partiellement blanchit par cette courte catastrophe. On dût se mettre à deux pour sortir le malheureux écrasé sous l'amas blanc face à la fenêtre pendant que les autres, se remettant de leurs émotions, remirent, le moral plombé, chaque chose à sa place, les chaises et tables renversées, les étagères bouleversées et les objets de décorations qui avaient tenu le coup reprirent leur position tandis que les plus fragiles, en miettes, furent transportés dans un coin isolé, les habitants de ce hameau, ayant pris l'habitude de cela, perdront leur temps à réparer ces babioles brisés alors qu'ils savent au fond d'eux qu'il faudra recommencer tôt ou tard cette tâche chronique. La tempête s'est finalement calmée, et les villageois purent sortir prendre l'air, et également évaluer l'étendue des dégâts de cette fois, la porte d'entrée de certains étaient ensevelie sous la neige, et il fallait une bonne dizaine de minutes pour déneiger tout cela, d'autres, plus malchanceux, auront plus qu'une simple porte à libérer, enfin, les deux ou trois derniers à plaindre qui habitaient en bordure du petit village devront chercher un nouveau toit où s'abriter avant le prochain déluge glacial. L'enfant, ne lâchant pour rien au monde la main de sa mère conteuse, assistait toujours à ce spectacle sordide, c'était, à vrai dire, vraiment désespérant que, à chaque fois que le Soleil se lève, et que l'on sort chez soi, on assiste irrémédiablement à ce bazar. Le vent soufflait toujours une agréable brise sur la colline, mais cela ne calmait en rien la tension qui s'était installé, certains parlaient d'exode, qu'il fallait s'en aller rapidement d'ici si l'on ne voulait pas mourir enterrer sous des montagnes de neiges, pendant que d'autres insistaient sur le fait que l'on devait rester ici, parfois par des arguments sur les principes, qu'abandonner son village, c'était pas bien, ou bien on invoquait également les noms des différentes divinités qu'ils vénèrent, et que ce serait un véritable blasphème envers leur propre religion que de quitter les terres où vivaient leurs ancêtres. Une foule s'était rassemblée sur la place centrale, juste en face du promontoire où se tenait le chef du village, ses mains s'agrippant à la rambarde pour l'aider à garder la stature haute, ce qui lui avait d'ailleurs donné cette mauvaise habitude de lever son nez un peu trop haut lorsqu'il parlait à quiconque lui adresserait la parole, son visage était un peu ravagé par le temps, mais ces rides et ces cheveux gris ne prouvent en rien qu'il a déjà un pied dans la tombe, bien au contraire, Vilhoerd était un vieillard chevronné, pas entièrement assoiffé d’aventure, mais loin d'être passionné par la morne envie d'attendre un événement. Et ce soulèvement dans son village, ça valait la peine de sortir de son vieux fauteuil rempli de parasites. Levant les bras pour imposer le silence aux villageois, il demanda d’abord, d’une voix rauque mais qui dominait l’assemblée qui se tenait en face de sa bâtisse, ce que pouvait bien donc signifier tout ce raffut.
-On ne peut plus vivre ici, c’est un enfer !
-À chaque tempête de neige, on perd deux ou trois habitations, à ce rythme on sera tous sans toits !
Bon, finalement, il devait avouer qu’il commençait un peu à se faire vieux. Cela faisait tout de même deux ou trois jours qu’ils se plaignaient sur le même sujet, et, à ce rythme, le vieux chef les savait capable de n’importe quoi. Frappant du plat de la main la rambarde pour faire résonner le bois, c’était sa petite technique personnelle pour attirer la curiosité de tout le monde, et le mieux, c’est qu’ils se taisaient tous après cette petite performance qu’il maîtrisait à merveille.
-Allons allons… écoutez tous ! Pour cette fois, je veux bien l’accorder, il faut faire quelque chose…
Un petit groupe leva le poing, hurlant des paroles qui devenaient incompréhensibles tellement elles semblaient mal prononcées, cependant, on pouvait deviner que leurs intentions étaient hostiles, et plus particulièrement vis-à-vis des dieux de la montagne. Ils se turent rapidement lorsque tout le village riva leur regard sur eux.
-Bon, comme je peux voir que j’ai enfin l’attention de tout le monde, je vais vous faire part de ma décision… Je veux bien l’accorder, tout cela commence à devenir insupportable, le village ne cesse de perdre des vies et des habitations chaque jour, et, après une longue réflexion, j’en suis venu à la conclusion que…
C’était dur à avouer, il ne s’en rendait compte que maintenant, peut-être aurait-il dû se préparer avant que cela n’arrive. Serrant la rambarde sur laquelle il se tenait à en rendre blanches ses jointures et à en faire silencieusement craquer le bois, son regard se perdait dans le vide qui se tenait sous lui. C’est quand même dingue à quel point on peut à peine plus se soulager juste en regarder ses pieds. Quand il faut y aller, il faut y aller, n’est-ce pas ? Relevant lentement la tête comme s’il portait le poids du monde, Vilhoerd voulu trouver d’avantage de réconfort dans les yeux des villageois, beaucoup se posaient énormément de questions : comment allons-nous nous nourrir ? Où irons-nous nous abriter ? Allons-nous partir d’ici ? Se rendre compte de cela n’était en rien rassurant, mais, puisqu’il tenait cette place dans ce coin paumé, alors il restera digne de confiance et de respect. Du moins, jusqu’à sa mort.
-Il est temps… que nous nous dirigions vers le sommet, pour rejoindre les temples que nos ancêtres ont hérité des dieux qui nous protègent.
-Mais… Comment s’assurer que ces temples ne soient pas déjà sous la neige ?
Pourquoi fallait-il toujours que quelqu’un trouve le « hic » à chaque solution qu’on propose à un problème ? Un peu pris au dépourvu, le vieillard leva les mains, en signe d’ignorance.
-Et bien… Nous n’avons qu’à envoyer quelqu’un en reconnaissance. Encore faut-il que l’on trouve un volontaire…
On attendait qu’une main se lève, qu’une voix se fasse remarquer, que le silence se brise, en quelque sorte. Dommage que tout le monde pensait plus à leur propre nombril qu’à celui de son voisin. Aucun homme, jeune garnement, guerrier aguerri, ne voulait aller vérifier si les lieux convoités étaient habitables par leur prochain. Aucune femme, belle vierge, amante ayant enfanté, ne voulait s’assurer qu’elle pourrait revenir ici saine et sauve, apportant la nouvelle à tout le monde. Soupirant d’exaspération tout en cachant son visage derrière sa main, le vieux sénile les pointa tous de son long doigt fin, quelque peu squelettique, mais accusateur.
-Comment osez-vous vous plaindre si vous n’agissez pas par la suite ?!
Les laissant stupidement baisser honteusement leur regard, Vilhoerd retourna s’enfermer chez lui, s’installant comme avant confortablement sur le meuble infesté de puces. Ce village courrait à sa perte, il le savait, il voulait les aider, il les aidait du mieux qu’il pouvait, mais il ne pouvait plus agir à leur place, le temps l’avait trop effrité pour qu’il puisse recommencer une aventure de cette envergure. Se retenant de crisper son visage de douleur, il posa sa main sur le côté gauche de son torse, ne faisant que prier pour qu’il puisse réussir son objectif avant de les quitter.
~P~
Les incessantes mélodies des cloches des bateaux amarrés assourdissait le port en entier, mais personne ne s’en plaignait, tout le monde avait fini par en devenir à moitié sourd. Les marins rentrant de leur journée de pêche déposaient comme tous les soirs toutes leurs marchandises sur de grandes balances pour peser et gagner leur salaire journalier. Les flèches indiquaient le poids en livre des victuailles, certains, plus chanceux, partaient avec le gros lot de la dizaine de livres ou plus, d’autres devaient se contenter de six ou sept, quelques fois huit pour ceux ayant des poissons plus âgés et lourds que d’autres, les plus souriants s’en allaient gaiement dans des tavernes afin d’échanger l’argent durement gagner contre un tonnelet de bière locale. Le patron d’une des auberges éloigné du bord de l’océan, principalement à cause du brouhaha, se vantait que ses tonneaux sortaient tout droit des mines naines, que ses ingrédients pour ses repas étaient importés depuis les pays elfes et que les outils pour cuisiner était de manufactures gnomes. Pour ce dernier détail, les clients avaient quelques doutes quant à rester d’avantage dans cette bâtisse, mais, après les remarques des habitués, on ne pouvait que faire l’éloge de ce merveilleux endroit. Personne ne voulait s’assurer si ce que l’aubergiste disait était vrai ou faux, puisque, après quelques bouchées et gorgées, ça n’était qu’agréable d’y rester jusqu’à la fin du dîner. Près de la cheminée, pour le moment encore éteinte, un luth voyant ses cordes se faire gratter par un barde et entouré des enfants avides d’histoires que le conteur, siégeant à côté, leur narrait, et cela allait des petits contes de trolls qui dévorent les gosses qui ne sont pas sages jusqu’aux légendes que bon nombre ont oublié, parfois même il inventait quelques passages pour rendre le contexte plus épique, et tout son jeune public gobait ce qu’il racontait, mais ça en valait la peine à en voir son gobelet en métal se remplir de pièces de bronzes, certaines même d’argents. Pendant ce temps, un autre garçon, plus grand, plus âgés, mais tout autant rêveur, écoutait inlassablement ces aventures trépidantes de chevalier ayant parcouru le monde à la recherche d’artefacts magiques, de pirates maudits errant sur une île à la recherche de corps à posséder, ou encore des petits peuples ayant depuis longtemps disparu s’ils avaient un jour existé. Il avait toujours voulu s’échapper de cette misérable vie, ce qu’il voulait vraiment c’était de l’action, ressentir des frissons, peut-être même engager son premier combat contre un monstre monstrueux mais, le problème, c’est que…
-Guelfa ! Tu as des clients qui attendent que tu viennes les servir, alors bouge !
C’est un simple serveur, au service de sa majesté la clientèle. Rassemblant son courage, le jeune homme parti en direction du comptoir pour servir un rasade de bière à des marins chevronnés qui, à leur tour, se mettent à raconter leurs exploits, cependant, au détriment de Guelfa, il ne pourra pas les écouter, il a du travail sur la planche et son embaucheur n’aime pas le voir rêvasser pendant ses heures. Le propriétaire de l’auberge avait une fois hésité à le garder plus longtemps puisqu’il donnait plus de travail qu’il n’en faisait, et puis, à force de le surveiller, on finit par s’en lasser. Après que tout le monde ait à manger, il se dépêcha d’aller dans la cuisine pour y apporter les autres demandes et y chercher en même temps les autres plats à rapporter. C’est, certes, pas un boulot très glorieux, mais s’il voulait gagner de l’argent, c’était toujours mieux que de faire le mendiant au pied du mur. La soirée continuait ainsi jusqu’au coucher du Soleil où quelque uns qui avaient loué une chambre s’en allèrent et, pour être certain qu’il n’y aura pas de baston à cause des ivrognes, les retardataires étaient contraints de s’éloigner après avoir payé, bien évidemment, les plus saouls se faisaient d’abord dépouiller puis jeter hors du bâtiment. Une fois qu’ils étaient seuls, Guelfa fut invité à se réunir avec le patron pour discuter, assis autour d’une table, ce dernier ne se gênait pas de s’être au préalable servi un tonnelet de bière pour combler sa journée.
-Ecoute, il faut qu’on parle, Guelfa… ça va pas du tout, à force de te voir plus travailler et jouer à l’enfant qui écoute n’importe qui débiter n’importe quoi… Va falloir que t’apprenne à grandir, sinon j’peux pas te garder ici et te payer à rien faire.
-Oui, je sais, Bistro…
-C’est Biltro.
-Tout le monde t’appelle Bistro, j’vois pas pourquoi je peux pas en faire de même.
-Bon… Tout ce que je veux de toi, à cet instant, c’est que tu me promettes de faire ton boulot et de plus perdre ton temps avec leurs bobards, capiche ?
-Oui oui, capiche, j’ai compris…
-Alors ?
-Alors… Je te promets de rester à toute heure au service du client qui est par ailleurs notre roi depuis l’invention du denier…
Bistro ne se fit pas prier et commença à lui raconter le passé de la monnaie qui les fait vivre. Lui montrant la pièce qui vaut le moins, un simple petit rond en bronze, et lui expliqua que ça s’appelle un as et que ça valait un douzième de denier, il en sorti un de sa poche et le posa à côté de sa cousine, cette fois-ci, il s’agit d’une pièce en argent, qui vaut donc douze as et un dixième de souverain, cette dernière s’agissait d’une pièce faite en or, mais personne à part les nobles ou autres dirigeants de hautes castes n’était assez fou pour faire savoir qu’il en a.
-Parce que l’or, j’sais pas ce qu’ils en font, mais il parait que les gnomes en raffolent pour leurs inventions farfelues. Ça me dégoûte quand même, si seulement ils pourraient se rabattre sur les pièces de bronzes ou au moins d’argent, ça s’rait le pied…
Il commençait à se faire tard, et le jeune garçon commençait à avoir les yeux qui piquaient, ainsi qu'à montrer d'autres signes de fatigues. Son patron, souriant, lui donna le droit de se reposer pour cette nuit, mais c'était surtout pour pouvoir profiter à lui seul de quelques choppes gratuites et offertes pour lui-même, comme il avait l'habitude de le faire chaque soir après une dure journée de labeur. Pendant qu'il se rinçait le gosier, Guelfa retournait dans sa chambre, cette dernière se trouvait au bout du couloir, à côté de celles des clients, l'auberge n'avait pas d'autres pièces de libre pour pouvoir le loger. Le grincement du sol à chacun de ses pas qu'il essayait pourtant de rendre léger arrachait des râles de ceux qui dormaient, mais l'alcool s'était assuré qu'ils ne se réveilleront pas avant longtemps, et pas sans une bonne gueule de bois. Arrivé à mi-chemin, le jeune garçon se rendit compte que l'une des portes d'une chambre était entre-ouverte. Peut-être l'avait-on mal fermé, ou bien cela annonçait un travail de serrurier en plus pour le lendemain. Cependant, la curiosité le poussa à voir à l'intérieur, histoire de savoir ce que cela pouvait bien signifier. Jouer les voleurs et filous n'était pas dans son programme, mais jeter un petit coup d'oeil, ça ne peut pas faire de mal. S'approchant à pas de loups grinçants, il pouvait voir, malgré l'obscurité de la nuit, que le lit était bel et bien occupé. Ses yeux s'habituant de plus en plus au noir, il pouvait même discerner ce que l'on croirait être de l'équipement. Désireux de savoir quelle arme cet étranger possédait, Guelfa s'approcha encore un peu plus, mais il se retint lorsqu'il entendit un grognement. Il crut pendant un moment que c'en était fini de lui, mais il poussa un soupir lorsqu'il se rendit compte que ce n'était rien de plus qu'un ronflement. Reprenant là où il en était, il tendit sa main pour prendre le tissu qui recouvrait tout ça et le posa délicatement sur le sol avant d'être émerveillé. Une épée, une splendide épée à une main qui était posée contre une chaise. La poignée brillait timidement dans le noir, la lame paraissait être magnifiquement aiguisée, on pouvait même remarquer une sorte de rubis inséré dans la chappe. Peu importe à qui elle appartenait, c'était la clé qui lui permettait d'ouvrir la porte vers un nouvel avenir, il ne pouvait pas laisser s'échapper cette chance. Reprenant le tissu qui traînait pas terre pour cacher l'épée, il embarqua le tout avec lui et s'en alla discrètement. Le sol continuait de grincer sous ses pieds, c'en était presque provoquant puisqu'on croirait que ce fichu plancher voulait le faire perdre toute discrétion. Redescendant les escaliers, il remarqua que Bistro, s'étant une fois de plus emportée par sa passion, dormait sur la table, une choppe à moitié pleine dans la main qu'il tenait fermement. Inutile de chercher à savoir combien il en a bu, bon sang il ne manquait plus que de franchir cette porte et de partir loin d'ici pour enfin réaliser son rêve ! S'exécutant sans freins, il empoigna la poignée, la tourna dans un autre grincement, ouvrit la porte et partit sans un mot. Aujourd'hui, il deviendra un mercenaire.
~Les Chroniques du Phénix~
Le feu brûlait intensément, réchauffant d'une manière assez agréable la résidente de la tour.
Assise sur son vieux fauteuil fabriqué à l'aide d'une ancienne technologie remise dernièrement à la mode, surtout grâce au confort que pouvait fournir le mobilier, et également à sa façon de s'intégrer facilement dans le logement avec les différentes fourrures que les vendeurs proposaient à leur client d'utiliser comme couverture, la jeune demoiselle lisait un grimoire, peut-être aussi vieux que le fauteuil lui-même, c'est-à-dire une bonne cinquantaine d'années. Contrairement aux croyances régionales, ces bouquins ne recèlent pas toujours des sortilèges, des rituels ou d'autres invocations magiques, c'est avant tout un livre où l'auteur y écrit son savoir, une ressource dotée de qualités incroyables à qui savait les comprendre et les utiliser.
Poussant un soupir de lassitude, elle fermait le recueil qui lui servait principalement de loisir journalier ces temps-ci avant de quitter le fauteuil qui, dans son élan, poussait un gémissement plaintif, un peu comme un grincement de porte. Poussée par la curiosité, elle passait entre les collines d'objets runiques, des artefacts, d'autres livres, certains uniques, des bibelots, des outils en tout genre, des ustensiles de cuisines qu'elle n'utilisait jamais, des parchemins enroulés contenant le savoir d'un ingénieur oublié ou volé, des urnes contenant des poussières pour certaines d'origines inconnues, des miroirs brisés, des épées émoussées, des haches et massues rouillées, des boucliers usés ou fracassés, de quoi, après un passage à la forge, de remplir l'arsenal de la caserne de la ville. Le plus intéressant était tous ces bidules enchantés, maudits, purifiés ou purgés, disposant de compétences incroyables, dans le sens positif comme négatif, des petits rouleaux d'un papier spécial, censé ne pas se faire dévorer par la vermine, contenant des connaissances à moitié oubliées. En bref, c'était un vrai bazar, un véritable capharnaüm, mais cette femme n'en avait cure.
Une fois avoir traversé ce tas de débris, elle s'appuya avec ses coudes sur le rebord de la fenêtre pour mieux voir la vue sur laquelle elle donne. Une grande ville, éclairée en plein jour, on pouvait voir, malgré la hauteur de l'étage à laquelle elle se trouvait, les passants, les touristes, les marchands et les soldats marcher dans les rues de la cité, tels des fourmis grouillant dans les tunnels de leur sombre repère. Depuis sa position, elle pouvait entendre le piaillement de tous ces habitants, et pas parce qu'elle avait une bonne ouïe, elle ne devait pas ce chahut à ça, mais vraiment parce que, en bas, tout le monde essayait de se faire entendre par tout le monde, on entendant le vendeur de poisson hurler haut et fort que le sien était frais, des crieurs publiques venant annoncer les bonnes et mauvaises nouvelles, des fous religieux s'approchant des foules pour leur cracher dessus leurs sermons, prônant du mieux qu'on pouvait que seuls les Dieux pourront offrir un avenir meilleur à ceux qui se soumettront aux Règles. Enfin bref, une certaine routine, comme d'habitude, rien n'a changé.
Rien n'a changé... Et pourtant, ce monde sera bouleversé de l'intérieur, il suffit d'une petite étincelle pour mettre le feu aux poudres, d'une goutte d'eau pour faire déborder le vase, il suffit du simple déclic qu'attend ce royaume pour sombrer, comme l'a fait le précédent, celui dont la jeune fille, contemplant tous ces mortels sous ses yeux, était d'origine. Pour elle, ceux en bas ne sont que des humains, elle n'en savait rien de plus, sinon que leur peuple est d'un narcissisme rare dans ce monde, égoïstes, radins, avares mais surtout sadiques et cruels, prêts à tout pour le moindre bénéfice qu'ils pourront apporter à leur nombril. Le plus drôle dans l'histoire, c'est quand même qu'elle ait décidé d'œuvrer pour le bien de ce peuple, et ce, depuis combien de temps ?... Trop longtemps pour qu'elle ait envie de compter les années.
Après tout, elle est l'une des derniers phénix.
« Avant, nous étions des milliers de centaines,
Notre propre pouvoir décima notre civilisation,
A présent, nous ne sommes plus qu'une dizaine,
Pourchassés par les nouvelles générations.»
Phenoxia, « Les complaintes des Anciens »
~Chapitre 1
Premier tour~
-Rattrapez-la !
C'était le capitaine de l'escouade chargé de capturer une fugitive. D'après les rapports, elle serait suspectée de braconnage d'outils magiques. On s'était occupé de faire taire l'affaire, surtout avec les conséquences que tout cela avait provoquées. Mais les effets politiques ne le dérangeait pas, c'était plutôt cette femme qu'il poursuivait avec ses soldats et ses chiens qui l'inquiétait, déjà parce que si les rumeurs sur sa personne s'avéraient être vraies, ce serait risqué de poursuivre une sorcière, de plus, on s'éloignait bien trop de la civilisation, la forêt était le seul repère naturel que les humains évitaient, d'où la cause des travaux de déboisement fraîchement entrepris. Apparemment, les ouvriers dormaient beaucoup. Ils étaient six à poursuivre une magicienne aux talents inconnus, accompagnés de trois chiens dressés à la poursuite des criminels et aux combats contre les plus téméraires.
-Capitaine Sagloffon ! Les chiens ont pisté une trace !
Bingo, il y a même des traces de pas sur le sol ! S'écriait l'interpelé. Avec ça, ils pouvaient être certains de la rattraper beaucoup plus rapidement. Sorcière ou pas, même un ivrogne aurait pu aisément suivre le sentier quelle ouvrait devant elle, remarqua-t-il. N'empêche, si ce serait un piège, ils seraient tombés dedans depuis longtemps, déjà ! Poursuivant leur chemin malgré des protestations naissantes, Sagloffon ordonna de lâcher les chiens. Aboyant avec rage et férocité, les cabots se mirent à galoper en direction de leur cible. Vu leur vitesse, ils ne devraient pas tarder à l'avoir rattrapé. Cette fois, on les entendait grogner, faisant apparaître un sourire triomphant sur les lèvres du capitaine, il avait appris que lorsque les chiens grognaient, c'est qu'ils étaient assez proches de la recherchée pour au moins la mordre. Ce qu'ils virent dépassa leurs attentes. Une énorme explosion apparu plus loin, dans la forêt, le souffle propulsa plus d'un soldat à terre, tandis que le vent chaud que cela apportait leur glaçait le sang, pour couronner le tout, on entendait le couinements des chiens, peut-être étaient-ils tout simplement effrayés et avaient déguerpi. Alors que l'escouade approchait de la scène, ils commençaient à faire remarquer une drôle d'odeur dans l'air : le parfum de la cendre.
Des squelettes sur le sol, encore un peu recouvert de chair calcinée, ayant abandonné leur couleur blanche à la brûlure des flammes. C'était sans y douter ce qui restait des chiens.
-C'est... L'œuvre de cette sorcière ?
-Sans aucun doute...
Un jeune soldat eut l'idée de sortir des rangs.
-C'est du suicide que de continuer à la poursuivre !
Il fut rapidement remit à sa place par son chef, mais cela ne calmait en rien les nerfs des autres recrues.
-On va tous mourir !
-Elle est va nous tuer !
-Silence dans les rangs ! Bon sang, bande de jeunes voyous écervelés, vous n'allez pas me dire que vous avez peur d'un peu de magie ?!
Ce peu de magie avait quand même créé une nouvelle clairière dans cette sombre forêt, même si ça sentait un peu le cramé.
-Et alors ? On nous a confié des talismans d'anti-magie, c'est censé nous protéger contre ça !
Ces bijoux n'étaient pas de derniers cri, mais technologiquement fiable. Un peu plus rassuré, l'escouade continua son escale. De faibles balbutiements signalaient que certains d'entre eux étaient encore sous le choc, et l'odeur empestant de la cendre commençait à devenir une gêne trop flagrante, ce qui les encouragea d'avantage à poursuivre leur route.
Un peu plus loin, un homme envoyé en tant que sentinelle fit une belle découverte qu'il se pressa de rapporter à son capitaine. Apparemment, porter une sorte de robe rouge ne facilitait pas la marche pédestre de notre amie la fugitive qui avait dû laisser derrière elle un indice trahissant son passage. Une fois sur le lieu-dit, malgré le manque d'empreinte, chacun put aisément deviner la direction choisie par leur recherchée. On entendait au loin l'écoulement de l'eau d'une rivière, filant entre les rochers à une vitesse dangereuse, on avait d'ailleurs construit un pont solide et techniquement fiable pour rejoindre les deux rives, c'était en réalité un ingénieux système de disposition de roches triangulaires, polies et aiguisées finement, l'un des sommets pointés contre le courant pour dévier ce dernier, tandis que la face opposée est plaquée contre des dalles où la rivière peut passer au travers à l'aide de quelques espacements entre les pierres de forme carré. Traverser ce pont en charrette est quelque peu difficile, mais avec un peu d'acharnement, les cheveux peuvent être capable d'éviter de se faire emporter, tout a été calculé, même la hauteur des rochers façonnés pour cette utilisation a été prévu en cas de marée haute.
Le pont est loin d'être couvert ou protégé, il n'y a même pas de rambardes, sans doute à cause d'un problème de monnaie, cependant, cela aida grandement l'escouade pour retrouver leur magicienne renégate. Elle semblait hésiter, au milieu de cette rivière déchaînée, à continuer ou à revenir. Tout le monde tenait leur pendentif à pleine main, craignant un piège. Leur sang ce glaça quand elle les aperçut, en même temps, quand quelqu'un est capable de souffler vos cendres en un instant, on prie pour que la magie de leur bijou fonctionne. Le chef s'approcha de la berge afin de mettre un pied sur le pont, histoire d'être assez prêt pour lui faire une remarque.
-Vous ! La magicienne, vous êtes en état d'arrestation pour suspections de braconnage et d'utilisation illicite de la magie !
L'interpelée se retourna à nouveau, jetant un coup d'œil vers l'autre rive, avant de se décider de mettre fin à cette course poursuite, se rendant auprès du capitaine, marchant d'une manière gracieuse, si on ne la connaissait pas, on aurait pu la confondre avec une membre d'une famille de nobles. Beaucoup de soldats empoignèrent le pommeau de leur épée d'une main, tenant toujours de l'autre leur pendentif d'anti-magie. Bon, et maintenant ? Personne n'osait parler, les troupes attendaient que leur chef menottaient la recherchée, Sagloffon attendait une quelconque menace de la part de la fugitive, quant à cette dernière, elle conservait son mutisme, et cela commençait à agacer les soldats.
-Chef, vous croyez qu'elle prépare quelque chose ?
-Elle nous aurait déjà balancé la sauce, je crois.
Celle qu'on craignait ne put s'empêcher de glousser timidement, ce qui ne calmait en rien l'atmosphère, car tous connaissaient le pouvoir de la magie. Essence naturelle formidable, la magie a ouvert bien des voies au monde, aux débuts de son utilisation, lorsqu'on apprit à la consommer pour la faire se transformer en un sortilège. Cependant, c'est un effluve compliqué à obtenir, car pour en avoir, il faut avant tout trouver de l'orichalque, autrefois rare, aujourd'hui achetable dans n'importe quelle boutique de sorcellerie, et la synthétiser pour en extraire le produit brut qui servira aux incantations. D'après des calculs, un quart de livre de cette gemme d'un rouge pâle et transparent permettrait de projeter une boule de feu d'un pied de diamètre. Quant aux syllabes nécessaires, un véritable dictionnaire a été conçu pour les novices, mais les règles doivent être enseignées par un maître en la matière, ce que beaucoup de personnes préfèrent éviter, d'où le nombre de mages renégats qui sèment la pagaille partout dans le monde.
-Il n'y a pas qu'en prononçant de belles phrases incompréhensibles qu'on peut faire de la magie, chuchotait le capitaine à ses camarades de chasse, en faites, tant que ça a été prononcé quelque part, ça marche. Et ça compte aussi dans l'écriture.
Comme pour détendre l'atmosphère, leur recherchée leva la main pour leur faire signe, certains prirent cela pour une menace de mort et reculèrent d'un bon pas, poussant un petit cri de frayeur, ce qui arracha un autre gloussement, plus moqueur, de la jeune femme. Ses longs cheveux bruns ondulaient jusque sous ses épaules, son corps élancé portait une longue robe rouge, décorés de symboles inconnus, sans doute magiques ou sortis de la tête d'une capricieuse enfant qui voulait quelque chose d'original, également brodés de fils couleur or, comme le col qui était serti de petites perles rouges, peut-être des rubis, son visage était joli à observer, avec un menton et un petit nez pointus qui faisaient ressortir les fossettes qui apparaissaient lorsqu'elle souriait, accentuant le charme de cette magnifique créature dont on remerciera dame Nature d'avoir eu l'idée de la concevoir. Après un hoquet de surprise, elle fit apparaître un vieux parchemin à travers un maigre nuage rouge qu'elle tendit à Sagloffon, ce dernier eut lui aussi un hoquet de surprise lorsqu'il put y lire son nom et son grade à côté d'un « Bonjour » bien écrit. Sa surprise ne se finissait pas là, en effet, juste en dessous s'écrivait lentement une phrase à l'encre couleur braise, cette fois, c'était juste elle qui se présentait.
« Bonjour, Cpt. Sagloffon,
Je m'appelle Phenoxia.»
~P~
Le feu brûlait toujours à l'intérieur de la cheminée, réduisant en cendre les buches qui servent de combustibles. Plusieurs paires de mains profitèrent du foyer réchauffant pour s'en rapprocher afin de se dégeler les articulations, car, contre toutes attentes, le climat était bien plus frigorifiant que les autres fois. Dans les Hautes montagnes, la neige était un quotidien pour tout le monde, et les tempête un simple coup de vent pour les habitués, les flocons comme les grêlons n'étaient que des jouets pour les enfants et un défis pour les chasseurs, rapportant le butin journalier pour le faire cuire. Cependant, personne ne voulait sortir aujourd'hui, du moins, pour l'instant, puisque tant que la tempête de glace fera rage à l'extérieur, il n'y aura pas de festin bien cuisiné. Les plus téméraires patientaient inlassablement, observant ce déchaînement qui semblait naturel, tandis que les plus fragiles, jeunes garnements, vieux séniles et femmes, grignotèrent de petites baies, des branches ou des feuilles de leurs cueillettes. Le vent frappait aux fenêtres, manquant de faire battre les volets qui étaient noués par une corde.
Pendant ce temps, sur une chaise, hésitant entre la curiosité et l’effroi, un petit garçon, blotti contre sa mère, se faisait bercé par cette dernière pendant qu'il scrutait l'environnement extérieur, la tempête de neige balayant le paysage montagnard. Ces anormalités météorologiques étaient apparues seulement une ou deux semaines plus tôt, et personne ne savait ce qui avait bien pu déclencher ça. Certains qui se prétendaient être devins affirmèrent que ce devait être le caprice d'une de leur divinité de leur panthéon, d'autres, d'une secte plus druidique, assurèrent que c'était les esprits de la montagne qui se vengeait qu'on détruisait la faune et la flore à force d'expansion du territoire et de parties de chasses, aucun idéal ne trouvait de nouveaux partisans, peut-être principalement parce que les gens d'ici s'en fichent de savoir pourquoi les évènements s'empirent de jour en jour. Murmurant une douce mélodie aux oreilles de son fils, elle ne put s'empêcher de remarquer que son visage reflétait le désir de répondre à une question.
-Quelque chose ne va pas ?
D'une innocence infantile, l'interrogé riva son regard vers sa mère. Effectivement, il avait bien une question à poser, bien une...
-Dis maman, pourquoi il neige beaucoup dehors ?
À vrai dire, elle s'attendait à cette réponse. D'après des rumeurs, contait-elle, cela n'arrivait que pendant quelques mois, et ce, chaque année, mais ce n'est pas la seule histoire qu'on raconte sur ce phénomène. On raconte également comme quoi se serait une mise à l'épreuve, érigée par les dieux pour vérifier si leurs fidèles conservaient leurs forces afin de s'assurer qu'ils méritaient toujours leurs bénédictions. Une autre histoire jetait la faute sur des malandrins qui s'amusaient à gaspiller leur magie à accentuer les tempêtes, de temps en temps, sans doute pour embêter ceux qui vivent ici.
-Il y aurait une dernière rumeur, également, comme quoi se serait une créature magique qui, rôdant dans les montagnes, soulèverait la neige pour dissimuler son passage. Personne ne sait si cela est vrai, mais...
Elle fut interrompue par une violente bourrasque qui arracha les volets de leurs gonds, les flocons, emportée par la tempête, s'engouffrait à une vitesse inquiétante dans la petite bâtisse de pierre. La fenêtre finit par être engloutie sous toute cette poudreuse, bloquant ainsi cette faille problématique, mais l'intérieur de l'habitat de pierre était plus que partiellement blanchit par cette courte catastrophe. On dût se mettre à deux pour sortir le malheureux écrasé sous l'amas blanc face à la fenêtre pendant que les autres, se remettant de leurs émotions, remirent, le moral plombé, chaque chose à sa place, les chaises et tables renversées, les étagères bouleversées et les objets de décorations qui avaient tenu le coup reprirent leur position tandis que les plus fragiles, en miettes, furent transportés dans un coin isolé, les habitants de ce hameau, ayant pris l'habitude de cela, perdront leur temps à réparer ces babioles brisés alors qu'ils savent au fond d'eux qu'il faudra recommencer tôt ou tard cette tâche chronique. La tempête s'est finalement calmée, et les villageois purent sortir prendre l'air, et également évaluer l'étendue des dégâts de cette fois, la porte d'entrée de certains étaient ensevelie sous la neige, et il fallait une bonne dizaine de minutes pour déneiger tout cela, d'autres, plus malchanceux, auront plus qu'une simple porte à libérer, enfin, les deux ou trois derniers à plaindre qui habitaient en bordure du petit village devront chercher un nouveau toit où s'abriter avant le prochain déluge glacial. L'enfant, ne lâchant pour rien au monde la main de sa mère conteuse, assistait toujours à ce spectacle sordide, c'était, à vrai dire, vraiment désespérant que, à chaque fois que le Soleil se lève, et que l'on sort chez soi, on assiste irrémédiablement à ce bazar. Le vent soufflait toujours une agréable brise sur la colline, mais cela ne calmait en rien la tension qui s'était installé, certains parlaient d'exode, qu'il fallait s'en aller rapidement d'ici si l'on ne voulait pas mourir enterrer sous des montagnes de neiges, pendant que d'autres insistaient sur le fait que l'on devait rester ici, parfois par des arguments sur les principes, qu'abandonner son village, c'était pas bien, ou bien on invoquait également les noms des différentes divinités qu'ils vénèrent, et que ce serait un véritable blasphème envers leur propre religion que de quitter les terres où vivaient leurs ancêtres. Une foule s'était rassemblée sur la place centrale, juste en face du promontoire où se tenait le chef du village, ses mains s'agrippant à la rambarde pour l'aider à garder la stature haute, ce qui lui avait d'ailleurs donné cette mauvaise habitude de lever son nez un peu trop haut lorsqu'il parlait à quiconque lui adresserait la parole, son visage était un peu ravagé par le temps, mais ces rides et ces cheveux gris ne prouvent en rien qu'il a déjà un pied dans la tombe, bien au contraire, Vilhoerd était un vieillard chevronné, pas entièrement assoiffé d’aventure, mais loin d'être passionné par la morne envie d'attendre un événement. Et ce soulèvement dans son village, ça valait la peine de sortir de son vieux fauteuil rempli de parasites. Levant les bras pour imposer le silence aux villageois, il demanda d’abord, d’une voix rauque mais qui dominait l’assemblée qui se tenait en face de sa bâtisse, ce que pouvait bien donc signifier tout ce raffut.
-On ne peut plus vivre ici, c’est un enfer !
-À chaque tempête de neige, on perd deux ou trois habitations, à ce rythme on sera tous sans toits !
Bon, finalement, il devait avouer qu’il commençait un peu à se faire vieux. Cela faisait tout de même deux ou trois jours qu’ils se plaignaient sur le même sujet, et, à ce rythme, le vieux chef les savait capable de n’importe quoi. Frappant du plat de la main la rambarde pour faire résonner le bois, c’était sa petite technique personnelle pour attirer la curiosité de tout le monde, et le mieux, c’est qu’ils se taisaient tous après cette petite performance qu’il maîtrisait à merveille.
-Allons allons… écoutez tous ! Pour cette fois, je veux bien l’accorder, il faut faire quelque chose…
Un petit groupe leva le poing, hurlant des paroles qui devenaient incompréhensibles tellement elles semblaient mal prononcées, cependant, on pouvait deviner que leurs intentions étaient hostiles, et plus particulièrement vis-à-vis des dieux de la montagne. Ils se turent rapidement lorsque tout le village riva leur regard sur eux.
-Bon, comme je peux voir que j’ai enfin l’attention de tout le monde, je vais vous faire part de ma décision… Je veux bien l’accorder, tout cela commence à devenir insupportable, le village ne cesse de perdre des vies et des habitations chaque jour, et, après une longue réflexion, j’en suis venu à la conclusion que…
C’était dur à avouer, il ne s’en rendait compte que maintenant, peut-être aurait-il dû se préparer avant que cela n’arrive. Serrant la rambarde sur laquelle il se tenait à en rendre blanches ses jointures et à en faire silencieusement craquer le bois, son regard se perdait dans le vide qui se tenait sous lui. C’est quand même dingue à quel point on peut à peine plus se soulager juste en regarder ses pieds. Quand il faut y aller, il faut y aller, n’est-ce pas ? Relevant lentement la tête comme s’il portait le poids du monde, Vilhoerd voulu trouver d’avantage de réconfort dans les yeux des villageois, beaucoup se posaient énormément de questions : comment allons-nous nous nourrir ? Où irons-nous nous abriter ? Allons-nous partir d’ici ? Se rendre compte de cela n’était en rien rassurant, mais, puisqu’il tenait cette place dans ce coin paumé, alors il restera digne de confiance et de respect. Du moins, jusqu’à sa mort.
-Il est temps… que nous nous dirigions vers le sommet, pour rejoindre les temples que nos ancêtres ont hérité des dieux qui nous protègent.
-Mais… Comment s’assurer que ces temples ne soient pas déjà sous la neige ?
Pourquoi fallait-il toujours que quelqu’un trouve le « hic » à chaque solution qu’on propose à un problème ? Un peu pris au dépourvu, le vieillard leva les mains, en signe d’ignorance.
-Et bien… Nous n’avons qu’à envoyer quelqu’un en reconnaissance. Encore faut-il que l’on trouve un volontaire…
On attendait qu’une main se lève, qu’une voix se fasse remarquer, que le silence se brise, en quelque sorte. Dommage que tout le monde pensait plus à leur propre nombril qu’à celui de son voisin. Aucun homme, jeune garnement, guerrier aguerri, ne voulait aller vérifier si les lieux convoités étaient habitables par leur prochain. Aucune femme, belle vierge, amante ayant enfanté, ne voulait s’assurer qu’elle pourrait revenir ici saine et sauve, apportant la nouvelle à tout le monde. Soupirant d’exaspération tout en cachant son visage derrière sa main, le vieux sénile les pointa tous de son long doigt fin, quelque peu squelettique, mais accusateur.
-Comment osez-vous vous plaindre si vous n’agissez pas par la suite ?!
Les laissant stupidement baisser honteusement leur regard, Vilhoerd retourna s’enfermer chez lui, s’installant comme avant confortablement sur le meuble infesté de puces. Ce village courrait à sa perte, il le savait, il voulait les aider, il les aidait du mieux qu’il pouvait, mais il ne pouvait plus agir à leur place, le temps l’avait trop effrité pour qu’il puisse recommencer une aventure de cette envergure. Se retenant de crisper son visage de douleur, il posa sa main sur le côté gauche de son torse, ne faisant que prier pour qu’il puisse réussir son objectif avant de les quitter.
~P~
Les incessantes mélodies des cloches des bateaux amarrés assourdissait le port en entier, mais personne ne s’en plaignait, tout le monde avait fini par en devenir à moitié sourd. Les marins rentrant de leur journée de pêche déposaient comme tous les soirs toutes leurs marchandises sur de grandes balances pour peser et gagner leur salaire journalier. Les flèches indiquaient le poids en livre des victuailles, certains, plus chanceux, partaient avec le gros lot de la dizaine de livres ou plus, d’autres devaient se contenter de six ou sept, quelques fois huit pour ceux ayant des poissons plus âgés et lourds que d’autres, les plus souriants s’en allaient gaiement dans des tavernes afin d’échanger l’argent durement gagner contre un tonnelet de bière locale. Le patron d’une des auberges éloigné du bord de l’océan, principalement à cause du brouhaha, se vantait que ses tonneaux sortaient tout droit des mines naines, que ses ingrédients pour ses repas étaient importés depuis les pays elfes et que les outils pour cuisiner était de manufactures gnomes. Pour ce dernier détail, les clients avaient quelques doutes quant à rester d’avantage dans cette bâtisse, mais, après les remarques des habitués, on ne pouvait que faire l’éloge de ce merveilleux endroit. Personne ne voulait s’assurer si ce que l’aubergiste disait était vrai ou faux, puisque, après quelques bouchées et gorgées, ça n’était qu’agréable d’y rester jusqu’à la fin du dîner. Près de la cheminée, pour le moment encore éteinte, un luth voyant ses cordes se faire gratter par un barde et entouré des enfants avides d’histoires que le conteur, siégeant à côté, leur narrait, et cela allait des petits contes de trolls qui dévorent les gosses qui ne sont pas sages jusqu’aux légendes que bon nombre ont oublié, parfois même il inventait quelques passages pour rendre le contexte plus épique, et tout son jeune public gobait ce qu’il racontait, mais ça en valait la peine à en voir son gobelet en métal se remplir de pièces de bronzes, certaines même d’argents. Pendant ce temps, un autre garçon, plus grand, plus âgés, mais tout autant rêveur, écoutait inlassablement ces aventures trépidantes de chevalier ayant parcouru le monde à la recherche d’artefacts magiques, de pirates maudits errant sur une île à la recherche de corps à posséder, ou encore des petits peuples ayant depuis longtemps disparu s’ils avaient un jour existé. Il avait toujours voulu s’échapper de cette misérable vie, ce qu’il voulait vraiment c’était de l’action, ressentir des frissons, peut-être même engager son premier combat contre un monstre monstrueux mais, le problème, c’est que…
-Guelfa ! Tu as des clients qui attendent que tu viennes les servir, alors bouge !
C’est un simple serveur, au service de sa majesté la clientèle. Rassemblant son courage, le jeune homme parti en direction du comptoir pour servir un rasade de bière à des marins chevronnés qui, à leur tour, se mettent à raconter leurs exploits, cependant, au détriment de Guelfa, il ne pourra pas les écouter, il a du travail sur la planche et son embaucheur n’aime pas le voir rêvasser pendant ses heures. Le propriétaire de l’auberge avait une fois hésité à le garder plus longtemps puisqu’il donnait plus de travail qu’il n’en faisait, et puis, à force de le surveiller, on finit par s’en lasser. Après que tout le monde ait à manger, il se dépêcha d’aller dans la cuisine pour y apporter les autres demandes et y chercher en même temps les autres plats à rapporter. C’est, certes, pas un boulot très glorieux, mais s’il voulait gagner de l’argent, c’était toujours mieux que de faire le mendiant au pied du mur. La soirée continuait ainsi jusqu’au coucher du Soleil où quelque uns qui avaient loué une chambre s’en allèrent et, pour être certain qu’il n’y aura pas de baston à cause des ivrognes, les retardataires étaient contraints de s’éloigner après avoir payé, bien évidemment, les plus saouls se faisaient d’abord dépouiller puis jeter hors du bâtiment. Une fois qu’ils étaient seuls, Guelfa fut invité à se réunir avec le patron pour discuter, assis autour d’une table, ce dernier ne se gênait pas de s’être au préalable servi un tonnelet de bière pour combler sa journée.
-Ecoute, il faut qu’on parle, Guelfa… ça va pas du tout, à force de te voir plus travailler et jouer à l’enfant qui écoute n’importe qui débiter n’importe quoi… Va falloir que t’apprenne à grandir, sinon j’peux pas te garder ici et te payer à rien faire.
-Oui, je sais, Bistro…
-C’est Biltro.
-Tout le monde t’appelle Bistro, j’vois pas pourquoi je peux pas en faire de même.
-Bon… Tout ce que je veux de toi, à cet instant, c’est que tu me promettes de faire ton boulot et de plus perdre ton temps avec leurs bobards, capiche ?
-Oui oui, capiche, j’ai compris…
-Alors ?
-Alors… Je te promets de rester à toute heure au service du client qui est par ailleurs notre roi depuis l’invention du denier…
Bistro ne se fit pas prier et commença à lui raconter le passé de la monnaie qui les fait vivre. Lui montrant la pièce qui vaut le moins, un simple petit rond en bronze, et lui expliqua que ça s’appelle un as et que ça valait un douzième de denier, il en sorti un de sa poche et le posa à côté de sa cousine, cette fois-ci, il s’agit d’une pièce en argent, qui vaut donc douze as et un dixième de souverain, cette dernière s’agissait d’une pièce faite en or, mais personne à part les nobles ou autres dirigeants de hautes castes n’était assez fou pour faire savoir qu’il en a.
-Parce que l’or, j’sais pas ce qu’ils en font, mais il parait que les gnomes en raffolent pour leurs inventions farfelues. Ça me dégoûte quand même, si seulement ils pourraient se rabattre sur les pièces de bronzes ou au moins d’argent, ça s’rait le pied…
Il commençait à se faire tard, et le jeune garçon commençait à avoir les yeux qui piquaient, ainsi qu'à montrer d'autres signes de fatigues. Son patron, souriant, lui donna le droit de se reposer pour cette nuit, mais c'était surtout pour pouvoir profiter à lui seul de quelques choppes gratuites et offertes pour lui-même, comme il avait l'habitude de le faire chaque soir après une dure journée de labeur. Pendant qu'il se rinçait le gosier, Guelfa retournait dans sa chambre, cette dernière se trouvait au bout du couloir, à côté de celles des clients, l'auberge n'avait pas d'autres pièces de libre pour pouvoir le loger. Le grincement du sol à chacun de ses pas qu'il essayait pourtant de rendre léger arrachait des râles de ceux qui dormaient, mais l'alcool s'était assuré qu'ils ne se réveilleront pas avant longtemps, et pas sans une bonne gueule de bois. Arrivé à mi-chemin, le jeune garçon se rendit compte que l'une des portes d'une chambre était entre-ouverte. Peut-être l'avait-on mal fermé, ou bien cela annonçait un travail de serrurier en plus pour le lendemain. Cependant, la curiosité le poussa à voir à l'intérieur, histoire de savoir ce que cela pouvait bien signifier. Jouer les voleurs et filous n'était pas dans son programme, mais jeter un petit coup d'oeil, ça ne peut pas faire de mal. S'approchant à pas de loups grinçants, il pouvait voir, malgré l'obscurité de la nuit, que le lit était bel et bien occupé. Ses yeux s'habituant de plus en plus au noir, il pouvait même discerner ce que l'on croirait être de l'équipement. Désireux de savoir quelle arme cet étranger possédait, Guelfa s'approcha encore un peu plus, mais il se retint lorsqu'il entendit un grognement. Il crut pendant un moment que c'en était fini de lui, mais il poussa un soupir lorsqu'il se rendit compte que ce n'était rien de plus qu'un ronflement. Reprenant là où il en était, il tendit sa main pour prendre le tissu qui recouvrait tout ça et le posa délicatement sur le sol avant d'être émerveillé. Une épée, une splendide épée à une main qui était posée contre une chaise. La poignée brillait timidement dans le noir, la lame paraissait être magnifiquement aiguisée, on pouvait même remarquer une sorte de rubis inséré dans la chappe. Peu importe à qui elle appartenait, c'était la clé qui lui permettait d'ouvrir la porte vers un nouvel avenir, il ne pouvait pas laisser s'échapper cette chance. Reprenant le tissu qui traînait pas terre pour cacher l'épée, il embarqua le tout avec lui et s'en alla discrètement. Le sol continuait de grincer sous ses pieds, c'en était presque provoquant puisqu'on croirait que ce fichu plancher voulait le faire perdre toute discrétion. Redescendant les escaliers, il remarqua que Bistro, s'étant une fois de plus emportée par sa passion, dormait sur la table, une choppe à moitié pleine dans la main qu'il tenait fermement. Inutile de chercher à savoir combien il en a bu, bon sang il ne manquait plus que de franchir cette porte et de partir loin d'ici pour enfin réaliser son rêve ! S'exécutant sans freins, il empoigna la poignée, la tourna dans un autre grincement, ouvrit la porte et partit sans un mot. Aujourd'hui, il deviendra un mercenaire.