Les ténèbres au matin
Dans les rues d'Horuna, on pouvait voir un démon se promener, plusieurs sacs de plastique à la main. Il semblait perdu dans ses pensées, marchant en ligne droite en évitant à peine les rares passants qui se mettaient dans son chemin.
Comme presque toujours, Kcalb avait passé une nuit courte. Très courte. Trop courte. Ce n'était pas de sa faute ! Il n'avait même pas de logement fixe, comment pourrait-il vouloir s'acheter un cercueil pour dormir comme il le faisait chez lui, dans le monde gris ? En plus de lui-même, il devait aussi nourrir, loger et tenir heureuses Ater et Arbus, ses servantes félines. Au moins, elles n'étaient pas particulièrement difficiles, niveau goût. Dès qu'un peu d'herbe à chat était promise pour plus tard, elles n'en demandaient pas trop.
Même s'il avait déjà survécu un an avec ce style de vie des plus précaires, le Diable en avait marre, de ne pas avoir de toit à lui. Alors, depuis un moment, il avait commencé réellement sa nouvelle quête : se trouver un travail. Il avait déjà postulé à un fast food et avait été accepté, sauf qu'il avait lancé un hamburger dans la friteuse lorsque le stress de l'heure de pointe fut finalement au rendez-vous.
C'était sa première journée.
On l'avait aussi engagé pour qu'il supervise une bande d'enfants en colonie de vacances, dans une forêt non loin de la ville. Un enfant lui avait demandé gentiment d'allumer un feu de camp pour le réchauffer, car il avait très, très froid. Les arbres prirent feu et on dut appeler les pompiers pour stopper l'incendie.
Pour sa défense, cet enfant était très mignon, avec ses grands yeux de biche et sa voix terrifiée.
Après ces deux échecs, Kcalb avait honnêtement commencé à perdre espoir. Comment est-ce qu'il pourrait réussir à se faire de l'argent si à chaque fois qu'il obtenait un job qui demandait un total de zéro qualification, il se faisait lamentablement renvoyer ? La seule chose qu'il savait faire, c'était la guerre et plus ou moins gouverner un monde. Avec Etihw à ses côtés, ça avait toujours été plus facile par contre...
Mentalement, il récitait encore une fois ce qu'il dirait à son prochain entrevue, peu importe où il la passerait. Ses habilités sociales n'étaient pas les plus fines, il devait l'avouer, ni son estime de soi, alors il devait trouver une façon de se vendre. Les deux premières fois, il savait qu'il avait seulement obtenu le poste parce que personne d'autre n'était intéressé par un emploi avec un si petit salaire et de si mauvaises conditions.
La prochaine fois, il essaierait peut-être de ne pas appliquer pour quelque chose qu'il savait qu'il raterait. Ou du moins, il essaierait. Honnêtement, il ne savait pas quels postes étaient disponibles dans la ville. On le redirigeait juste vers ce genre de choses quand il demandait... Peut-être devrait-il commencer par faire le tour de la ville pour voir s'il y avait des offres, d'abord ?
Sortant finalement de sa bulle, l'homme, comme toujours vêtu de son fidèle costard-cravate, tourna du mauvais côté de la rue, du moins si son intention était encore de se diriger vers l'hôtel miteux où il avait réservé une chambre depuis déjà quelques jours, armé de son maigre budget. Non, cette fois, il s'était dirigé en direction de l'académie d'Horuna. Il n'y était pas entré bien souvent, mais il savait comment s'y rendre à partir de pratiquement partout, alors commencer ses recherches par là-bas pourrait être une bonne idée.
Puis, un jour, il pourrait aussi faire le tour de leur bibliothèque pour voir s'ils possédaient quoi que ce soit qui pourrait l'aider à remémoriser certains de ses vieux sorts complexes ou rentrer chez lui. Ça ne serait pas une mauvaise idée.
Il avait tout le temps du monde. Littéralement.
Enfin. Sauf si le monde n'avait pas encore une fois décidé de lui jouer un mauvais tour.
Tout à coup, la lueur douce et rassurante du Soleil qui se trouvait au-dessus de lui disparut pour laisser place à une soudaine nuit, inattendue et sans transition. Comme si on avait appuyé un interrupteur pour éteindre la lumière de ce monde.
Surpris sur le coup, le démon s'arrêta brusquement, laissant tomber tous les sacs qu'il tenait dans ses mains auparavant. Les yeux aussi vides qu'un trou noir, il leva de la tête et observa ses alentours. Tous ceux qui se tenaient près de lui le fixaient désormais.
Avec ce même regard qu'on avait déjà posé sur lui maintes et maintes fois. Ce même regard, porté non pas seulement par de la colère et de l'agacement, mais surtout par de la haine. Non pas la haine que l'on réserve à son ex après une trahison dégoûtante, mais la haine qu'on a seulement envers les monstres, ceux qui ont arraché la vie à d'innombrables personnes, ceux qui ont détruit des familles, des cœurs et le futur de dizaines, de centaines ou peut-être même de millions.
Ce même regard qui se faisait se sentir comme la personne souillée qu'il était. Le monstre qu'il avait toujours été.
Kcalb ne savait pas ce qui se passait. Un changement aussi soudain et ces regards aussi dégoûtés de la part de parfaits inconnus ; sa première conclusion fut qu'il avait été victime d'un sort de cauchemar et qu'il faisait désormais face à ses peurs les plus terribles.
Les passants se mirent tous à courir en sa direction, utilisant la première chose qui leur venait en main comme arme. Une vieille dame portait sa canne vers sa tête, alors qu'un jeune homme lui préparait un violent coup de poing.
Qui l'atteint directement dans la mâchoire. Les deux coups le touchèrent, suivis par d'autres, portés par d'autres personnes, elles aussi des inconnus, dans ce contexte mystérieux et terrifiant.
Malgré les coups de la part de ces humains, le démon ne bougea pas d'un poil. Il savait encaisser beaucoup plus que ça, mais surtout ; il se posait des questions. Beaucoup de questions. Il n'avait rien ressenti de magique autour de lui qui était assez puissant pour l'enfermer dans ses propres peurs de façon aussi brutale et terrifiante. Les gens, ceux à qui il n'avait rien fait, l'attaquaient avec la réelle intention de le tuer. Du sang coulait déjà de son nez, s'infiltrant entre ses lèvres lorsqu'il respirait, de façon rauque et répétée.
Le dos à terre, les coups continuant sous ce normalement magnifique ciel nocturne, Kcalb était perdu, surpris et choqué par la tournure macabre de sa promenade.
Après un énième coup porté à la tête, il reprit finalement ses esprits et réalisa qu'il était pour lui grand temps de quitter cette position bien peu agréable. Aidé de sa force supérieure à celle d'un être normal, il repoussa l'homme qui l'agressait continuellement depuis tout à l'heure à l'aide d'une de ses mains, l'envoyant bouler sur quelques mètres, avant de se lever, se protégeant des assauts de la vieille à l'aide d'un de ses bras. Sans même prendre la peine d'essuyer le sang qui coulait le long de son visage jusqu'à son menton, il se mit à courir, espérant que les humains n'étaient pas aussi rapides que lui.
Enfin. S'il y avait seulement des humains dans les alentours, et pas des créatures qui sauraient lui tenir tête.
Après tout, le souverain d'un monde perdu savait mieux que personne qu'on devenait plus fort que jamais lorsqu'on avait la réelle intention de tuer.
Espérant se cacher, il tourna au détour d'une ruelle, là où la noirceur était telle que, grâce à l'obscurité que la nuit lui procurait, il pourrait peut-être être indétectable pendant un assez long moment pour formuler un plan.
La situation n'était pas belle. Pas du tout, même.
Comme presque toujours, Kcalb avait passé une nuit courte. Très courte. Trop courte. Ce n'était pas de sa faute ! Il n'avait même pas de logement fixe, comment pourrait-il vouloir s'acheter un cercueil pour dormir comme il le faisait chez lui, dans le monde gris ? En plus de lui-même, il devait aussi nourrir, loger et tenir heureuses Ater et Arbus, ses servantes félines. Au moins, elles n'étaient pas particulièrement difficiles, niveau goût. Dès qu'un peu d'herbe à chat était promise pour plus tard, elles n'en demandaient pas trop.
Même s'il avait déjà survécu un an avec ce style de vie des plus précaires, le Diable en avait marre, de ne pas avoir de toit à lui. Alors, depuis un moment, il avait commencé réellement sa nouvelle quête : se trouver un travail. Il avait déjà postulé à un fast food et avait été accepté, sauf qu'il avait lancé un hamburger dans la friteuse lorsque le stress de l'heure de pointe fut finalement au rendez-vous.
C'était sa première journée.
On l'avait aussi engagé pour qu'il supervise une bande d'enfants en colonie de vacances, dans une forêt non loin de la ville. Un enfant lui avait demandé gentiment d'allumer un feu de camp pour le réchauffer, car il avait très, très froid. Les arbres prirent feu et on dut appeler les pompiers pour stopper l'incendie.
Pour sa défense, cet enfant était très mignon, avec ses grands yeux de biche et sa voix terrifiée.
Après ces deux échecs, Kcalb avait honnêtement commencé à perdre espoir. Comment est-ce qu'il pourrait réussir à se faire de l'argent si à chaque fois qu'il obtenait un job qui demandait un total de zéro qualification, il se faisait lamentablement renvoyer ? La seule chose qu'il savait faire, c'était la guerre et plus ou moins gouverner un monde. Avec Etihw à ses côtés, ça avait toujours été plus facile par contre...
Mentalement, il récitait encore une fois ce qu'il dirait à son prochain entrevue, peu importe où il la passerait. Ses habilités sociales n'étaient pas les plus fines, il devait l'avouer, ni son estime de soi, alors il devait trouver une façon de se vendre. Les deux premières fois, il savait qu'il avait seulement obtenu le poste parce que personne d'autre n'était intéressé par un emploi avec un si petit salaire et de si mauvaises conditions.
La prochaine fois, il essaierait peut-être de ne pas appliquer pour quelque chose qu'il savait qu'il raterait. Ou du moins, il essaierait. Honnêtement, il ne savait pas quels postes étaient disponibles dans la ville. On le redirigeait juste vers ce genre de choses quand il demandait... Peut-être devrait-il commencer par faire le tour de la ville pour voir s'il y avait des offres, d'abord ?
Sortant finalement de sa bulle, l'homme, comme toujours vêtu de son fidèle costard-cravate, tourna du mauvais côté de la rue, du moins si son intention était encore de se diriger vers l'hôtel miteux où il avait réservé une chambre depuis déjà quelques jours, armé de son maigre budget. Non, cette fois, il s'était dirigé en direction de l'académie d'Horuna. Il n'y était pas entré bien souvent, mais il savait comment s'y rendre à partir de pratiquement partout, alors commencer ses recherches par là-bas pourrait être une bonne idée.
Puis, un jour, il pourrait aussi faire le tour de leur bibliothèque pour voir s'ils possédaient quoi que ce soit qui pourrait l'aider à remémoriser certains de ses vieux sorts complexes ou rentrer chez lui. Ça ne serait pas une mauvaise idée.
Il avait tout le temps du monde. Littéralement.
Enfin. Sauf si le monde n'avait pas encore une fois décidé de lui jouer un mauvais tour.
Tout à coup, la lueur douce et rassurante du Soleil qui se trouvait au-dessus de lui disparut pour laisser place à une soudaine nuit, inattendue et sans transition. Comme si on avait appuyé un interrupteur pour éteindre la lumière de ce monde.
Surpris sur le coup, le démon s'arrêta brusquement, laissant tomber tous les sacs qu'il tenait dans ses mains auparavant. Les yeux aussi vides qu'un trou noir, il leva de la tête et observa ses alentours. Tous ceux qui se tenaient près de lui le fixaient désormais.
Avec ce même regard qu'on avait déjà posé sur lui maintes et maintes fois. Ce même regard, porté non pas seulement par de la colère et de l'agacement, mais surtout par de la haine. Non pas la haine que l'on réserve à son ex après une trahison dégoûtante, mais la haine qu'on a seulement envers les monstres, ceux qui ont arraché la vie à d'innombrables personnes, ceux qui ont détruit des familles, des cœurs et le futur de dizaines, de centaines ou peut-être même de millions.
Ce même regard qui se faisait se sentir comme la personne souillée qu'il était. Le monstre qu'il avait toujours été.
Kcalb ne savait pas ce qui se passait. Un changement aussi soudain et ces regards aussi dégoûtés de la part de parfaits inconnus ; sa première conclusion fut qu'il avait été victime d'un sort de cauchemar et qu'il faisait désormais face à ses peurs les plus terribles.
Les passants se mirent tous à courir en sa direction, utilisant la première chose qui leur venait en main comme arme. Une vieille dame portait sa canne vers sa tête, alors qu'un jeune homme lui préparait un violent coup de poing.
Qui l'atteint directement dans la mâchoire. Les deux coups le touchèrent, suivis par d'autres, portés par d'autres personnes, elles aussi des inconnus, dans ce contexte mystérieux et terrifiant.
Malgré les coups de la part de ces humains, le démon ne bougea pas d'un poil. Il savait encaisser beaucoup plus que ça, mais surtout ; il se posait des questions. Beaucoup de questions. Il n'avait rien ressenti de magique autour de lui qui était assez puissant pour l'enfermer dans ses propres peurs de façon aussi brutale et terrifiante. Les gens, ceux à qui il n'avait rien fait, l'attaquaient avec la réelle intention de le tuer. Du sang coulait déjà de son nez, s'infiltrant entre ses lèvres lorsqu'il respirait, de façon rauque et répétée.
Le dos à terre, les coups continuant sous ce normalement magnifique ciel nocturne, Kcalb était perdu, surpris et choqué par la tournure macabre de sa promenade.
Après un énième coup porté à la tête, il reprit finalement ses esprits et réalisa qu'il était pour lui grand temps de quitter cette position bien peu agréable. Aidé de sa force supérieure à celle d'un être normal, il repoussa l'homme qui l'agressait continuellement depuis tout à l'heure à l'aide d'une de ses mains, l'envoyant bouler sur quelques mètres, avant de se lever, se protégeant des assauts de la vieille à l'aide d'un de ses bras. Sans même prendre la peine d'essuyer le sang qui coulait le long de son visage jusqu'à son menton, il se mit à courir, espérant que les humains n'étaient pas aussi rapides que lui.
Enfin. S'il y avait seulement des humains dans les alentours, et pas des créatures qui sauraient lui tenir tête.
Après tout, le souverain d'un monde perdu savait mieux que personne qu'on devenait plus fort que jamais lorsqu'on avait la réelle intention de tuer.
Espérant se cacher, il tourna au détour d'une ruelle, là où la noirceur était telle que, grâce à l'obscurité que la nuit lui procurait, il pourrait peut-être être indétectable pendant un assez long moment pour formuler un plan.
La situation n'était pas belle. Pas du tout, même.