Je me sens étrangement bien…. Je me laisse sombrer dans les abysses d’un océan sans fond. Mais je n'ai pas peur. Mon corps engourdi se laisse envahir par la douceur de cette immensité mêlée de bleu et de noir.
Suis-je en train de me noyer ?
Non….Ce n’est pas ça. Mes poumons se remplissent d’air, bien que je perçoive à peine ma propre respiration. C’est comme si j’étais morte. Je n’arrive même pas à bouger le bout de mes doigts alors que mes yeux vide restent dirigé vers la surface, hypnotisée par le bleu azur qui semble maintenant si loin, les ténèbres grandissantes autour de moi.
Je me noie.
Je peux sentir un désir pousser ma main vers la surface qui se faisait de plus en plus petite. Ma peau est terne, encore plus pâle qu’un cadavre, elle semble couverte de taches sombre. C’est bien trop tard, cette masse noire finit par m’engloutir, me laissant sombrer de plus en plus dans une atmosphère glaciale.
Je veux fuir… Est-ce que je le désire vraiment ? Ais-je seulement le choix ?
Je fermai les yeux, acceptant mon sort, quand des images apparaissent dans mon esprit, s'enchaînant au rythme de mon cœur. Des souvenirs ? Une main osseuse tenant une montre... Des cheveux platine.... Un manteau à plumes de corbeau…. Des cheveux blancs…. Une odeur maritime et des lunettes rouges…. Des sourires, des rires, des pleurs, des peurs. Tout s’enchaîne et me submerge, me laissant le cœur meurtri et... Heureux à la fois ? Une main tendue se présente soudainement à moi, elle est plus grande que la mienne et le fait de la voir me réconforte.
J’ai besoin de toi.
Mon ascension continue, je tendis la mienne pour l’attraper, ne sachant pas discerner la réalité entre les ténèbres et ces brèves images. C’est alors que la main me saisit fortement le poignet, la douleur me parcourut le corps presque instantanément.
Tu me fais mal.
Un cri sortit de ma bouche, m’étouffant alors que j’essaye de me libérer de cette emprise. Mon corps se mit à s’agiter tant bien que mal, transit par la douleur. Je ne flotte plus, je me fais tirer par des mains invisible, froide…. La main tordant presque mon poignet remplit à présent mon champ de vision.
Je t’en supplie.
Je tente de résister, mais rien ne semble marcher. Des yeux et un sourire apparurent au-dessus de cette douloureuse emprise, je peux sentir les os de mon poignet se disloquer lentement. Je suis trop faible. Je ne peux pas. Je suis pétrifiée par la peur, je ne connais que trop bien ce visage… Mon poignet lâche enfin dans un bruit sec, maladif, vomitif. Un hurlement silencieux sort de ma gorge alors que les mains invisibles me tirent encore plus profondément dans cet enfer qui est mien.
Tue-moi.
****
Cranber se réveilla en sursaut, la respiration haletante et un mal de tête lui perçant les tempes. Il faisait beau aujourd’hui, à en juger par les fins rayons matinaux filtrant les rideaux clos de la chambre de la petite. La température ambiante de la chambre était lourde et la démone était en sueur sous ses couvertures. Depuis sa rencontre avec Sal, il y a maintenant quelques jours, Cranber se baladait avec un bandage autour de la tête. La chute sur les rochers lui avait bien fait mal et, après avoir été traînée chez un médecin par Amanda, la démone devait à présent garder un bandage et désinfecter sa blessure tout les jours jusqu'à ce qu’elle cicatrise complètement. Mais ce n’était pas tout. Depuis le malheureux incident, notre petite Cranber faisait des rêves assez étrange et celui qu’elle venait d’avoir l’avait complètement secouée.
Assise dans son lit, elle essayait de calmer les battements de son cœur qui accélérait dangereusement. Ce visage lui était bien trop familier et la tourmentait. La gorge sèche et l’esprit perturbé, elle jeta un coup d’œil en direction de Bebe, sa peluche vivante. Celle-ci dormait encore, un filet de bave s’échappant de son adorable(?) petite bouche piranhesque (mot qui ne veut rien dire, mais dont la présence est requise ici présent pour décrire la bouche aux dents pointues de Bebe, tout aussi dangereuse que celle des piranhas.)
Doucement, Cranber rabattue la couverture sur son amie et se décida à descendre du lit malgré son malaise. À pas de loup, la démone se rapprocha de la fenêtre pour observer les alentours, veillant bien à écarter qu’un pan des rideaux pour ne pas réveiller la peluche qui ronflait paisiblement. L’appartement d’Amanda se trouvait assez haut pour pouvoir avoir une vue sur les toits rustique du quartier et le ciel découvert signalais une bien belle journée pour la population de Next.
Mors était toujours introuvable et les journées de Cranber se résumaient à fouiller chaque coin et recoins dans l’espoir de revoir sa proie favorite. Sa présence et la possibilité de lui sauter au cou manquaient à la jeune démone. À ce moment précis, elle aurait voulu le serrer bien fort. Il aurait sûrement fait partir cette étrange sensation qui ne faisait qu’empirer son mal de tête. Mors n'était pas le plus bavard et le plus joyeux des démons, mais quelques choses chez lui semblait familier, assez pour que Cranber passe ses journées à retrouver sa trace. Puis, après tout, c’était sa proie, c’était normal non ?
Du bruit venant de la cuisine indiquait que la gentille Amanda était debout et l’odeur de café et de tartines grillées qui flottait jusque dans la chambre signalait qu'un bon petit déjeuner attendait la petite démone. Qui sait, un chocolat chaud et une tartine de confiture la requinquerais un peu ? Ce n’était qu’un mauvais rêve après tout…. Cranber laissa donc la fenêtre pour se diriger vers la porte, prenant bien garde à ne pas déranger Bebe en faisant grincer les gonds, et pris la route vers la cuisine, sans oublier de faire un rapide passage dans la salle de bain pour se laver le visage.
-Bonjour Cranberry !” S’exclama la jeune femme en voyant la démone arriver, toujours en pyjama.
-Bonjour Amanda…” Répondit Cranber d’une voix fatiguée alors qu’elle s'installa à la table en bois de chêne. Amanda lui servit une tasse de chocolat chaud que la démone saisit pour se réchauffer les mains. Les deux vivaient ensemble depuis la disparition soudaine de Mors. La jeune femme était ravie d’avoir un peu de compagnie et appréciait Cranber comme sa propre fille. Elles s’étaient rapprochées l’une de l’autre pendant ces dernières semaines et connaissaient à présent leurs habitudes respective. Amanda savait donc que le teint trop pâle de Cranber et sa fatigue apparente n’était pas normal du tout. Elle posa un regard concerné sur la petite alors qu’elle refermait le réfrigérateur après y avoir rangé la bouteille de lait.
-Tu as passé une bonne nuit ?” S’enquit-elle en prenant place à table, saisissant sa tasse de café tout en ajustant ses lunettes.
-Oui, oui…”
-Tu ne m’as pas l’air dans ton assiette pourtant...Tu es sûre que ça va ?”
-....”
-Un mauvais rêve peut-être ?”
-J’ai...Mal à la tête.”
Il y avait visiblement quelque chose qui clochait, du point de vue d’Amanda, les choses s’annonçaient même alarmantes. Elle tendit un bras en direction de la petite et lui toucha le front. Sa température corporelle était normale, aucun signe de fièvre ou autre. Cranber ne fit rien, habituée au geste tactile et protecteur de la trentenaire. De toutes manières, elle n’avait pas envie de lui mordre les doigts ou d’esquiver. Elle était encore bien trop secouée. Et le chocolat chaud ne semblait pas changer grand-chose. Amanda prit un air inquiet.
-Je comprends...Je vais te donner de quoi calmer ton mal de tête, mais si ça persiste dans la journée, il va falloir retourner voir Dr.Bret.” Expliqua t-elle en allant ouvrir un tiroir pour sortir des cachets contre la douleur. Elle présenta un verre d’eau à Cranber et lui tendit les pilules blanches.
-D’accord..” Répondit Cranber en prenant les médicaments. Elle avala bien vite le tout en laissant l’eau faire descendre les cachets au fond de sa gorge. La démone redonna le verre à la jeune femme en faisant de son mieux pour sourire comme elle le ferait habituellement.
-Dis, je peux sortir après ?”
****
Voilà maintenant une bonne heure que Cranber était dehors, assise à l’ombre sur un banc publique. Amanda avait accepté de la laisser profiter du beau temps, mais à conditions de ne pas trop s’éloigner. Bebe s’était réveillée et avait participé à la toilette matinale, aidant la démone à se coiffer les cheveux. Ceux-ci s’étaient laissé faire, toujours aussi vivant que vous et moi. La petite s’amusait à jouer avec Bebe en la chatouillant du bout de sa chevelure tentaculaire, ne parvenant toujours pas à effacer ce visage de ses pensées. Il était comme gravé dans son esprit et refusait de se laisser oublier. Cranber arrêta un instant le jeu pour porter une main à son front, fraîchement bandé par les bons soins d’Amanda. Pourquoi n’arrivait-elle pas à passer à autre chose ?? Pourquoi faisait-elle ce genre de rêve ? C’était la faute de sa blessure à la tête, donc logiquement, la faute de ce sale poisson blanc….Elle grogna en serrant les dents.
-Je l’étriperais, lui et ses sales boyaux de poisson pourri.”
-Mojube ?”
Bebe semblait avoir remarqué l’état de Cranber, mais n’avait pas bien entendu ce que la démone venait de murmurer. La peluche posa ses pattes en tissu sur la main de son amie qui reposait sur le banc, le regard inquiet. Comme à chaque fois que Bebe communiquait, des lettres s’échappèrent de la bouche de celle-ci pour former la phrase “{Va bien ?}”.
-Ah ? Oui, oui ça va Bebe ~”
-Mojoge ? {Cranberry sûre ?}”
Cette fois, la peluche s’était envolé pour arriver à la hauteur de Cranber et penchait la tête interrogativement. La dévoreuse eut un de ses sourires carnassiers habituel et prit Bebe dans ses bras pour lui faire un câlin, frottant sa joue contre celle pelucheuse de la sorcière à desserts. Cette dernière répondit au geste affectueux, mais restait un peu inquiète. Elle savait très bien que Cranber n'agissait pas comme à son habitude aujourd’hui…
-Oui, je t’ai dit ! J’ai juste encore un peu mal au crâne.”
Ah, ce satané dauphin puant. Si seulement Bebe savait que Cranber mentait. Elle n’avait plus du tout mal à la tête, le médicament d’Amanda avait fait ses preuves. Seulement, elle tentait de canaliser son malaise et sa rage soudaine envers un certain requin blanc. Mentalement, elle l’avait déjà tué une bonne dizaine de fois. La démone relâcha sa peluche en revêtant son sourire et se mit à regarder autour d’elles pour essayer en vain, de se changer les idées avant de partir passer ses nerfs sur un des voyous qui traînait dans le coin.
Le soleil étincelait toujours, moins fortement que sur la plage cela étant dit, et baignait les rues de ses chaleureux rayons. Malgré cela, l’air y était frais et agréable, surtout à l’ ombre où les deux amies se reposait. Le banc où Cranber avait décidé de se poser se trouvait non loin d’un parc où l'on pouvait entendre de l’animation. Les rires d’enfants et banales conversations se faisaient étouffer par les arbres décorant les environs, donnant une agréable touche de verdure dans ce petit coin de quartier. Que demander de plus ?
Si Cranber ne se sentait pas aussi mal, elle serait sûrement en train d’échafauder un plan machiavélique pour bombarder les enfants de chenilles grasses et de défécations d’oiseaux. Enfin, c’était sans compter la disparition de Mors et la détermination qu’avait Cranber à le traquer. Amanda avait même proposé de placarder des affiches un peu partout à un moment tellement la petite démone était obnubilée par les recherches.
Bebe avait décidé de partir à la recherche de limaces pour les offrir à son amie démone (Cranber en raffole.) et avait disparu dans le parc pour fouiller les buissons, laissant Cranby assise sur son banc. Celle-ci ferma les yeux un instant en ressassant malgré elle ce qu’elle avait vu en rêve cette nuit-là. Différentes images lui avaient traversé l’esprit. La montre tenue par une main squelettique devait être celle de Mors...
Mais pourquoi Mors ferait-il une apparition dans ses cauchemars ? Serait-ce parce qu’elle passe le plus clair de son temps à tenter de le retrouver ? Et ces plumes de corbeau ? Les cheveux blancs....Le fait de repenser aux cheveux blancs lui valu une brève apparition mentale d’un Sal souriant de manière agaçante, ce qui lui arracha un petit grognement. Oui, quand elle allait le retrouver, elle allait l’étrangler avec ses boyaux.
C’est à ce moment précis que Cranber senti quelques choses d’humide lui effleurer le genou. Surprise, elle eut un geste vif et ouvrit les yeux pour tomber nez à nez avec….Un gros chien. Et pas n’importe quel chien, non, un étrange chien à deux têtes… La démone fixait l’animal avec un regard neutre tandis que celui-ci fit de même. Ils restèrent interdit avant que Cranber finisse par pencher la tête sur le côté, ignorant une soudaine douleur venant de celle-ci.
-Cool~”
Elle tendit sa main vers la bête, sans craindre quoi que ce soit et se mit à caresser ce gros toutou. Il semblait aimer ça à en juger par ses langues pendantes (deux têtes ne l’oubliez pas) et sa queue qui remuait joyeusement. Il s’approcha un peu plus de la démone, se laissant caresser et grattouiller affectueusement par la petite qui aimait ce drôle d’animal au pelage plus que doux.
-J’t’aime bien toi, t’es tout seul ?”
Le chien aboya, comme s'il répondait à la question et posa ses têtes sur les jambes de la démone. Cranber esquissa un autre sourire se sentant étrangement un peu mieux. L’animal sentait le chocolat chaud et sa présence semblait apaiser le mal de la petite. Elle le caressa doucement, laissant ses doigts filer entre les longs poils du chien profitant du moment pour regarder autour d’elle, en quête de son maître. Mais personne cherchant le chien ne passait dans les parages, ce qui arrangeait la démone. Personne a mangé pour garder ce gentil toutou ! Parfait !
-Mobebe !”
Bebe était de retour, une poignée de limaces dans un bocal à bonbons, visiblement fière de sa chasse. Elle arriva bien vite en voletant, impatiente d’offrir son butin à Cranber quand elle vit le grand chien se faire câliner. La démone tourna la tête en direction de la peluche, le sourire aux lèvres.
-Bebe, tu as vu notre nouvel ami ?”
****
Il était dans les environs de seize heures et demi quand Cranber, Bebe et leur nouvel ami “Cocoa-matcha” se posèrent sur la fontaine de la grande place. Ils avaient passé la journée dehors et se reposaient à présent en regardant les petits poissons de la fontaine nager çà et là, profitant de la fraîcheur de l’eau. Bebe n’avait pas été très emballée par la présence du gros chien à deux têtes, mais s’était vite attachée quand elle avait vu qu’il raffolait de ses desserts. L’état de Cranber s’était aussi amélioré depuis qu’il était présent et la peluche vivante pouvait sentir que cela venait de l’aura émanant de Cocoma. Et puis, après une heure passé en présence du chien, Bebe pouvait affirmer que cette bébête était une bonne pâte.
C’est donc ensemble qu’ils se posèrent tranquillement, la vie d’Horuna continuant son cours dans le plus normal des mondes.
Ça faisait trois jours que Kcalb s'était retrouvé loin de chez lui, loin de tout ce qu'il connaissait et aimait. Ça faisait trois jours qu'il n'avait vu ni Etihw, ni Wodahs, ni Yosafire, ni Froze, ni Rawberry... Ni personne. Il était réellement seul, pris dans un monde qu'il ne connaissait pas avec comme seul point de repère ses chats de compagnie et familiers, Ater et Arbus. Il n'avait plus rien. En l'espace d'un instant, en un claquement de doigt, il avait tout perdu. Ses amis, son amour, sa maison et ses pouvoirs. Il se retrouvait au loin, là où personne ne le connaissait et là où on ne pouvait l'aider. On l'avait comme piégé. On avait tout organisé pour le mettre dans un cul-de-sac. Loin de chez lui, seul, où il était obligé de parler aux autres pour obtenir directions et appui ; seul problème, il n'était pas mignon, il n'avait pas l'air d'être en détresse. Personne ne voulait lui venir en aide. Il leur était extérieur, après tout. Ce n'était pas l'un d'entre eux. C'était l'un de ces fameux « héros », que l'on idolâtrait autrefois et qui n'était aujourd'hui qu'une légende mal aimée. Son état de Diable ne l'avantageait pas, une fois parmi les humains. Il ne pouvait pas passer inaperçu.
Ça faisait donc trois jours et trois nuits qu'il était ici. Il y a à peine quelques jours, il avait rencontré Mors, le fils d'une de ses connaissances. Même s'il espérait le contraire, il ne pouvait pas dire que tout s'était passé comme il l'aurait voulu. Pour en rajouter une couche, il avait attiré l'attention de la foule lors de son escarmouche avec Jean. Il avait donc jugé mauvais de rester là ; il ne voulait pas se faire attaquer par une personne qui avait mal vue sa dispute avec lui. Le soir même, il avait donc rameuté Ater et Arbus et était parti en direction d'un nouvel endroit où rechercher de nouvelles informations.
Tout ça pour finir à Horuna, où il se trouvait aujourd'hui. Il avait encore loué une petite chambre dans une auberge avec les quelques pièces qui lui restaient et avait une fois de plus laissé les deux chattes dormir dans la chambre. Bien que les chats étaient attirants envers la population, il n'avait pas confiance en elles pour ne pas se transformer en public ou jouer des mauvais tours. Ce n'était pas par-dessus elles de voler ou de faire des super blagues aux passants, comme « devine qui est qui » ou encore « devine où est ton portefeuille ». La réponse était souvent « dans nos mains », d'ailleurs.
~~~
La matinée ne s'était pas très bien déroulée pour Kcalb. Il s'était levé à l'aube et était presque directement sorti de chez lui à la recherche de nouvelles informations ou d'un quelconque moyen de gagner de l'argent - il n'allait pas survivre grâce à Ater et Arbus plus longtemps qu'il ne le faudrait. En plus de cela, il avait trois bouches à nourrir. S'il n'arrivait toujours pas à savoir ce qu'il faisait ici ou encore même où était ici, il aurait au moins légèrement avancé dans sa quête.
Sauf que, surprise, alors qu'il sembla s'approcher de ce qui ressemblait à un parc public, marchant tranquillement sous l'ombre des arbres, à l'abri du regard des passants, le Diable aperçut au loin une créature absolument terrifiante. Sortant de derrière un banc, il s'agissait d'une énorme créature à la grande carrure et à l'apparence terrible. Non, ce qui était terrible n'était pas sa condition de chien à deux têtes, ou encore sa douce odeur de cacao ; mais le fait qu'il possédait deux fois plus de dents qu'un chien normal.
Et, un des secrets les mieux gardés du Diable était qu'il n'appréciait pas la gente canine. Non, pire ; il avait peur des chiens. Oh, son soi du passé se serait moqué de lui. Autrefois, il agissait sans peur, surtout pas de choses aussi ordinaires que les chiens. Mais il n'y pouvait rien. C'était un homme à chats ! Les gros toutous comme ça le rendaient inconfortable. Il avait toujours peur qu'on le pourchasse et qu'on le morde. Et non, il n'avait pas particulièrement envie d'avoir besoin d'acheter des bandages supplémentaires. Il n'avait pas le budget pour ça, et certainement pas le talent de se les mettre seul.
Alors, lentement mais sûrement, Kcalb se recula, gardant toujours un contact visuel avec la bête. Il craignait que, s'il se retournait, on le pourchasserait. Heureusement pour lui, la créature ne sembla que le regarder de travers. Une fois que la distance entre les deux fut jugée acceptable, l'homme se retourna et repartit en direction de la ville. Il pourrait retourner au parc plus tard, une fois que le propriétaire de ce chien l'aurait ramené chez lui. Il ne manquait pas grand chose, au fond, mis à part se sauver la peau.
~~~
Il était midi. Était-ce vraiment midi ? Non, il était au moins midi. Sûrement midi passé. Peut-être une heure, peut-être deux.
Il ne savait plus où il était exactement. Perdu en ville, ça c'était sûr. Kcalb se trouvait dans une grande rue, large et fréquentée. Des deux côtés de la route se trouvaient de nombreux stands, gérés par des marchands éveillés et actifs, et quelques boutiques et cabinets. Il était ici pour - il ne savait même plus. La chaleur qui émanait du Soleil et du corps des passants avait l'air d'embrouiller son esprit... Mais était-ce vraiment à cause de cela ? Il n'arrivait même plus à se concentrer. Il était debout, en plein milieu de la rue, ne faisant que quelques pas de temps en temps et se faisant bousculer par tous les côtés. Peut-être qu'un manteau était en trop - mais pouvait-il vraiment se séparer de son manteau ? Celui qu'il portait depuis des centaines d'années, avec ses longues manches et ses plumes de corbeau.
Non. Il ne pouvait pas le faire. Il allait simplement supporter, alors. Toute cette pression. Toute cette chaleur. Tous ces regards, et toute cette indifférence dont tous faisaient preuve à son égard. Ils étaient tous pareils, mais personne n'était le même. Autour de lui, tout semblait se flouter. Il était incapable de voir clair, et encore plus incapable de réfléchir. Dans un dernier éclair de lucidité, il repoussa les personnes autour de lui de ses bras pour passer, abandonnant sa timidité habituelle dans son urgence. Un malaise - il allait avoir un malaise. Le Diable eut beaucoup de mal à repousser autant de personnes dans cet état, mais il finit par accéder à une petite ruelle sur le côté de la rue. Il n'y avait rien ni personne : un endroit parfait pour se cacher.
Il s'y réfugia donc, abrité par l'ombre des bâtiments autour de lui, et s'y enfonça jusqu'à temps que le bruit provenant de la rue ne devienne qu'un chatouillement dans ses tympans. Plus il avançait à l'intérieur de cette ruelle poussiéreuse et mal famée, plus ses muscles semblaient être étirés, plus un bourdonnement se fit entendre dans ses oreilles, plus sa vision tourna au noir. Sa respiration s'accéléra, presque en panique, tenant sa conscience au bout d'un fil. Jusqu'à temps que tout ne vire au noir.
~~~
Nostalgia...
... Lorsque Kcalb ouvrit à nouveau les yeux, le monde autour de lui était entièrement noir. Pendant un instant, il ne fit qu'ouvrir les yeux et examina sa position. L'horizon semblait inexistant. Il n'y avait rien, comme un énorme néant. Sauf que, lorsqu'il regarda en-dessous de lui, il fit une découverte qui aurait dû le choquer. Ses pieds étaient non pas sous, mais sur l'eau. Il y avait une énorme étendue de ce liquide clair, presque infinie tellement elle semblait sans fin. Et il ne semblait pas bleu, comme l'océan ; mais blanc, brillant, reflétant une lumière qu'il pensait inexistante jusqu'à maintenant. Cependant, ce n'était pas tout. Cette mer sans fin était recouverte de fins pétales blancs, pétants, lumineux. Cependant, même s’il aurait dû avoir peur ou paniquer, il ne ressentait rien.
Le Diable finit par relever sa tête. Devant lui, flottant par-dessus cette étendue d'eau, se trouvait une figure pâle et fantomatique. Cette figure portait une longue robe blanche et avait de courts cheveux noirs, ne dépassant que peu ses épaules. Ses yeux à l'iris noir fixaient Kcalb. Et, pour une fois, il ne baissa pas des yeux. Un petit sourire étira ses lèvres, et elle lui sourit en retour.
La personne en face de lui étendit son bras, ne prononçant pas un mot. Sa main approcha le front du démon, poussant une partie de sa frange sur le côté. Les deux êtres gardaient un parfait silence, mais ça ne voulait pas dire qu'ils ne communiquaient pas. Le contact de leurs yeux était mélancolique, mais doux. Tu me manques, essayaient-ils de se dire. Seulement, Kcalb ne parlait pas ; il n'y arriverait pas et ne voulait pas. Au fil du temps, ils n'avaient plus besoin de mots pour se comprendre.
Suite à un moment qui leur parut beaucoup trop court, la figure posa délicatement son doigt en plein milieu du front du Diable.
Un choc se fit ressentir au plus profond de lui. Par réflexe, ses paupières se fermèrent - mais ça ne voulait pas dire qu'il ne voyait que du noir. Au contraire, il arrivait finalement à voir.
Une boîte. C'était de là qu'il était venu. Mais... Il n'était pas seul. Il ne devait pas être seul. Il n'aurait jamais dû être seul ici.
C'est sur ce sentiment qu'il ouvrit ses yeux.
~~~
De retour. Il était de retour dans cette ruelle délabrée d'Horuna, à l'atmosphère sombre et à la poussière qui voletait de partout, illuminée par les quelques rayons du Soleil qui réussissaient à y pénétrer. Avait-il halluciné ? Était-ce un coup de son propre cerveau, du destin ou tout simplement la force de la magie des dieux ? Il n’avait actuellement aucun moyen de le savoir.
« Tu me manques. », réussit-il finalement à prononcer.
~~~
Suite à sa vision, il prit plusieurs minutes pour se composer. Bien qu'il aurait préféré ne tout simplement rien voir que de devoir vivre avec les regrets de la fin de ce moment, il avait tout de même eu plusieurs informations capitales.
Il venait lui aussi de cette boîte dont Mors lui avait parlé quelques jours auparavant. Et il n'était pas seul. Du moins, il ne l'était pas avant... Il ne devait pas l'être.
C'était étrange, mais il pouvait faire avec étrange. Il avait du vécu, après tout.
~~~
Quelques heures s'étaient écoulées depuis son étrange moment dans la ruelle. Depuis, il s'était ressaisi et était sorti de ce quartier achalandé. Il était plutôt retourné dans la zone du parc, là où il avait croisé ce gros chien ce matin. D'ici maintenant, il serait certainement parti.
Et bien, il avait raison. Il n'y avait plus personne. Voyant ici une occasion de passer un serein moment de solitude, Kcalb décida de s'y promener. La verdure ici était belle, les arbres grands et l'ombre juste suffisante pour ne pas qu'il meure de chaud. Bref, un endroit agréable pour se changer les idées.
Puis, une balade ne lui ferait pas de mal. Il pourrait se vider la tête, après tout ce qui s'était produit aujourd'hui. Il ne demandait rien de plus.
~~~
Le temps passait trop vite. Il était déjà passé seize heures. Il devrait vite se mettre à rentrer, sinon il ne retrouverait certainement pas l'auberge où il avait laissé Ater et Arbus avant la tombée de la nuit - son sens de l'orientation laissait à désirer.
D’un pas peu pressé, le Diable se dirigea à nouveau vers les rues de la ville. Là-bas, il y avait une fontaine, tient. Il pourrait peut-être y faire un petit arrêt pour s’y rafraîchir, ça ne lui ferait pas de tord.
« I'm confused. I have a headache. I wish my mothers were here. I feel...empty.»
Après une longue semaine après avoir fait tout un tas de rencontre toutes plus absurdes les unes que les autres, tu avais pris la sage décision de prendre un peu de repos. De te retirer du beau peuple de ce monde pour avoir du recul et essayer de comprendre.
Dans ta quête de trouver une sorte de nid de repos, tu te contentas de crécher dans une petite auberge à l'ambiance chaleureuse. Rien de bien sorcier, mais l'endroit était assez sécurisé, les bagarres étaient interdites tout comme les êtres nocifs. Un lieu parfait pour quelqu'un comme toi.... Et ton drôle de compagnon mauve.
Tu avais loué une petite chambre au premier étage et lorsque tu t'y rendis, tu ne tardas pas longtemps pour t'étaler sur le matelas du lit, en faisant la parfaite imitation d'une carpette, par la même occasion. Pour une fois, l'envie de ne rien faire était grande. Voir même énorme. Le repos était le seul remède que tu quémander, loin des bruits, des êtres étranges, des démons.....Des poissons...
Doucement, tu te tournas sur le dos, fixant le plafond moche. Vémini c'était assis sur la commode, dégustant un bout de pain qu'il avait du voler dans la cuisine en bas. Que faire ? Rien. Tu ne possédais aucun objectif actuellement. Sagement, tu observes les autres...Ou tu fuis lorsque la situation devient trop étrange pour toi.
Lâchant un soupir, tu te frottes les yeux. La nuit porte conseil, non? Tu pouvais dormir, tu trouveras sans doute quelque chose à faire à ton réveil. Peut-être une façon de te débarrasser du pokemon ? Non. Même si tu adores grandement la solitude, sa présence semble réjouir une partie de toi, à ton plus grand malheur.
Finalement, tu lâchas prise sur le monde réel, pour rejoindre le monde sans logique des rêves.
But sometimes dreams reveal something. If you feel like it, you can remember. Oh...Maybe this will happen sooner than expected. The past always catches up with us.
Il faisait sombre.Le démon s'aventure dans un endroit qui lui semble à fois si familier et..Inconnu. Il marche dans un lieu froid, avec au milieu une simple pendule. Néanmoins, l'heure y est très mal indiqué, la flèche pointée vers le quatre, comme une certaine montre que l'entité garder précieusement dans une main. Un soupir franchit ces lèvres, avant qu'il ne s'en détourne .
Quelque chose se posa sur son épaule. Sursautant, le démon se retourne, sa crainte se transmettant à son monde onirique, qui subitement se teinte de rouge et de mauve. Mais la peur est une réaction si... Violente, surtout lorsqu'on se rend compte que la personne est juste une membre de la famille.
Sin. La femme serpent se tiens devant son fils. Bien, heureusement, ceci n'est qu'un simple souvenir et non la vraie. Le démon semble dire quelque chose, mais ces paroles disparaissent dans ce lieu vide....Et pourtant, Sin semble avoir compris. Elle pose amicalement une main dans les cheveux du garçon, avant de pointer une autre silhouette qui se mouve lentement dans l'obscurité.
Silence.
Le démon n'ose pas regarder sa reine dans les yeux et manque de s'agenouiller devant sa présence. Ils avaient beaucoup de similaire physiquement. Les mêmes yeux rouges, le même air complétement détaché, comme si le moindre évènement leur glisser dessus.
Aucune parole n'est entendue, et pourtant les trois parles. Puis, la pendule cassée finit par laisser entendre un léger gong, le monde onirique change de couleur pour prendre des teintes plus vives qu'à l'ordinaire. La femme serpent finie par prendre son fils par la main, en l'emmenant face à une porte, au loin la silhouette de la fausse Reficul ne bouge pas.
La femme reptile ôte la clef qu'elle porte autour du coup, avant d'ouvrir une sorte de... Verrou ? Elle affiche ensuite un habituel sourire, avant que la porte ne finissent par s'entrebâiller. De la lumière s'en échappe. Le démon recule face à cet assaut. Il cherche du regard ces parents, mais les deux souvenirs on laisser le démon seul.
Il n'a pas d'autre choix que d'affronter cette lumière. Il y a quelque chose derrière. On peut entendre des voix, des rires...Des...Cris? Peu importe.Anyway, it's just a dream. Waking up will be done in case of problem.
-Est-ce que le mot "dormir" n'existe pas dans ton vocabulaire?
-Vémi.
Converser avec cette créature ne servirait à rien. Tu te levas de ton lit. Encore une fois, tu avais mal à la tête, pour une raison qui t'échappais. Et quel et le remède contre ce genre de phénomène ? Une promenade.
Ainsi, tu ne tardas pas à quitter l'auberge. Horuna était grande, tu fis quand même attention de ne pas te perdre. Il y avait une belle fontaine, devant laquelle tu fus forcé de t'arrêter, car un certain Vémini avait décidé de confondre la fontaine avec piscine.
Si bien que tu resta planté devant, à regarder de manière agaçé ton compagnon.
Une agréable brise se leva alors que Cranber décrivait des cercles dans le bassin de la fontaine à l’aide de son index. Les petits poissons s’éloignaient en un seul geste et fuyait les perturbations causées par la démone. Les genoux à terre, face à la fontaine, la tête posée sur ses bras reposant sur le rebord en marbre frais, Cranber ne quittait pas le bassin des yeux. Elle réfléchissait encore à ce maudit rêve. Les petits poissons s’éloignaient en un seul geste et fuyait les perturbations causées par la démone.
D’être autant marquée par un simple visage vu en rêve. Elle ne savait pas pourquoi, mais celui-ci lui inspirait un sentiment de crainte, détresse, mal être…. Bebe sentait que le moral de Cranber recommençait à retomber. Elle s’approcha un peu plus d’elle, accompagné de Cocoma. Tous les deux posèrent leurs têtes sur la petite, Bebe dans le creux du cou de la démone tandis que Cocoa couvrait pratiquement tout le dos de celle-ci, faisant un gros câlin à leur amie.
Peu habituée à de tels gestes d’affection en sa faveur, Cranber enfouie son visage au creux de ses bras. Elle ne voulait pas qu’on voie ses yeux devenir vitreux. Ce genre de comportement ne lui ressemblait pas. Elle qui était crainte et connue pour être un monstre sanguinaire, une folle furieuse cannibale et sauvage. Quand elle y repensait un peu plus, elle ne se souvenait pas de son passé avant d’être prise sous l’aile de Lord Kcalb. Kcalb avait été son roi et lui avait donner une chance de donner un sens à sa vie. Il lui manquait. Il représentait beaucoup pour elle.
Son corps se crispa un peu plus et l’étreinte de ses familiers se fit plus étroite, apportant un peu de chaleur au coeur serré de la petite démone. Elle renifla un peu bruyamment, le visage toujours caché dans le creux de ses bras. Pourquoi subissait-elle un état aussi fragile ? Était-ce dû à son rajeunissement ? Combien de temps allait-elle rester dans un corps aussi frêle ?
La démone ne voulait pas pleurer... Ça ne lui ressemblait pas. Elle ne pouvait pas pleurer ! Elle ne voulait pas se sentir faible.
La démone se mordit les lèvres en serrant le poing. Cocoma le sentit et entraîna la petite un peu plus contre son pelage. L’animal avait la particularité de sentir et comprendre les sentiments d’autrui. Il pouvait sentir la douleur de sa nouvelle maîtresse. Bebe suivit le mouvement et se logea un peu plus contre la jeune petite. Ils restèrent comme cela pendant plusieurs minutes, ignorant le monde qui les entouraient. Ils étaient tellement à l’aise, qu’ils auraient pu s’endormir sur place, près de cette fontaine, et dormir jusqu’au soir.
-...Merci…”
Cranber avait murmuré ce simple mot, tellement bas qu’il en fut presque inaudible, pour que seuls Bebe et Cocoa ne l’entendent. De toutes les créatures qu’elle avait rencontré dans ce monde, ils étaient les seuls qui lui avait témoigner d’une telle affection. Il ne manquait plus qu’Amanda et Cranber pouvait se sentir presque comme membre d’unefamille.
Famille
Ce mot résonna au creux de son esprit. Elle put entrevoir le souvenir d’un bref sourire.
Famille ?
Des plumes de corbeau, une montre, des gants noir…..Des lunettes rouge.
Nous sommes une famille après tout, pas vrai Cranber ?
La démone fut parcourue d’un frisson et se redressa brusquement, brisant l’étreinte de ses familiers qui la regardaient avec des yeux interrogateur. Tout cela avait un lien, ce mot “Famille” inspirait à la dévoreuse un sentiment nostalgique, comme si... comme si elle avait fait partie d’une vraie famille, il y à longtemps, bien longtemps. Elle posa un regard perdu sur ses mains pâle. La nostalgie se transforma en une nouvelle douleur, le genre de douleur qui tiraille nos pensées, nous faisant mentalement répéter cette unique phrase ;
Où sont-les autres ?
Cette douleur qui garde pères et mères éveillé lorsque leur enfant disparaît, cette même douleur qui empêchent les plus jeune à rire et sourire alors qu’un de leur parent manque à l’appel. Cette fois, des larmes s’écoulèrent vraiment le long des joues de Cranber, tombant aux creux de ses mains alors qu’elle était assise sur le sol pavé de la grande place. La fontaine gardait son cours paisible, les passants vaquait à leurs occupations respectives. Tout était normal.
Mais rien ne l’était dans la réalité de Cranber.
Rien ne l’était jamais et rien ne le sera jamais. Qui sait ? Mais pourquoi se sentait-elle soudainement abandonnée ? Non pas par Bebe, Amanda ou Cocoma, mais par ces personnes qu’elle voyait en rêves.
Existaient-elles déjà ?
À ce stade, la démone ne savait plus différencier le vrai du faux tout était qu’un tourbillon nostalgique, un typhon d’émotion qui avait emporté la dévoreuse. Celle-ci ne sentit pas la nouvelle étreinte de ses familiers. Elle était honteuse, perdue et ne savait pas comment réagir. C’était ridicule, n’est-ce pas ? De se mettre dans un tel état pour un simple cauchemar.
C’est alors que quelque chose attira l’attention de Cranber. Quelque chose qui se baignait dans le bassin de la fontaine. Une créature violette, respirant la joie de vivre, profitait de l’eau fraîche sous le soleil de quatre heures. En relevant les yeux, la démone aperçut une forme noire. Elle ne pouvait pas bien distinguer ce qui se tenait non loin, de là où elle se trouvait, les plate-formes en marbre de la fontaine encombraient son champ de vision. Mais en y regardant de plus près, elle aperçut un détail qui la figea sur place.
Des mains squelettiques.
Non, ce n’était pas.. Ça ne pouvait pas….
Cranber se leva lentement, essuyant ses larmes d’un revers de manche, ses familiers inquiets s’écartant tout en regardant la scène. Bebe remarqua l’étrange créature et s’en approcha curieuse. La démone contourna la fontaine doucement, le cœur battant, suivit de son chien. Elle se sentait vidée de son énergie habituelle et continua d’avancer, presque timidement, pour voir…
Mors
Elle ne rêvait pas, c’était bien Mors qui se tenait là, ses yeux blasé rivé sur la créature qui s’amusait joyeusement dans l’eau, bientôt observée par Bebe. C’était bien lui, Mors, Mors-chun, sa proie(?) qu’elle cherchait depuis plusieurs jours en vain. Au lieu d’aller lui sauter dessus comme elle l’avait fait lors de leur première altercation ensemble. La démone resta plantée là, près du rebord de la fontaine, tentant de procéder ses émotions beaucoup trop fluentes.
L’image de la montre lui retraversa l’esprit et ce sentiment nostalgique prit encore plus d’ampleur. Elle pouvait sentir les larmes remonter. Non ! Il ne fallait pas pleurer ! Pas encore ! Pas de devant une….Proie ? Mais était-ce vraiment une proie ? Cranber n’avait pas envie de le manger ou encore moins de le voir mourir. Non, elle voulait juste ses yeux ? Et ses mains ?
Elle ne voulait pas le perdre
C’était son sentiment. Elle ne le comprenait pas. Pourtant elle ne le connaissait pas tant que ça, si ? Pourquoi avait-il l’air si familier ? Doucement, elle s’approcha de lui, le fixant de ses yeux rouge-rosé. Cranber ne savait pas quoi dire. Elle était comme figée. Finalement, après de longues minutes, elle réussit à s’adresser à lui.
-Mors ?”
Sa voix était légèrement tremblotante, mais elle avait réussi à contrôler ses larmes et ne pleurait pas. Maintenant qu’elle avait rajeuni, il lui paraissait beaucoup, beaucoup plus grand qu’elle. Cocoma fixait le démon derrière les jambes de sa maîtresse, prêt à réagir si quelques chose de regrettable se produisait. Finalement, prise d’un élan soudain, la petite se rua vers Mors pour le serrer contre elle. Enfin, de ce qu’elle pouvait serrer du haut de ses 1m29, c’est-à-dire, les jambes du démon.
-Je t’ai chercher partout ! P-pourquoi tu es parti ?” Articula t-elle en cachant son visage contre ce cher démon monotone. Cranber ne fit pas au bout de ses surprises lorsqu’elle aperçut une autre personne s’approcher de la fontaine. Son cœur manqua un battement lorsqu’elle le vit.
Plumes de corbeau
C’était…. Il était…. Est-ce qu’elle divaguait ? Avait-elle perdu la raison ? Rêvais t-elle encore ?
... But that doesn't mean I can't find them again.
Le monde autour de Kcalb semblait tourner à un rythme différent du sien. Alors qu'il s'approchait de la fontaine, il était calme, peu pressé, presque serein. Si seulement ses entrailles n'étaient pas encore tiraillées par ce stress, qui ne semblait pas partir peu importe combien de temps il attendait... Si seulement il pouvait se débarrasser de ce sentiment d'être perdu qui ne semblait pas vouloir le quitter, peu importe à quel point il le souhaitait...
Peu concentré, il continua à marcher vers l'infrastructure sans réellement faire attention à ses alentours. Son esprit distrait et les yeux arqués vers la fontaine, il ne remarqua rien de spécial. Il continua tout simplement à marcher, ses muscles fatigués et ayant une forte envie de bailler.
Cependant, même s'il n'était pas complètement présent, une première chose titilla son intérêt.
Dans l'eau de la fontaine se baignait quelque chose de violet. Quelque chose qui était petit, qui semblait voleter de partout... Quelque chose de familier.
Ça semblait être la petite créature qui avait pris une sieste sur son épaule, il y a quelques jours à peine. Elle semblait grandement apprécier Mors, n'est-ce pas ? Portant dorénavant attention à l'endroit où il était, il rechercha le démon des yeux. Si la bestiole qui l'accompagnait était présente, alors il était peut-être présent, lui aussi... Oh ! Il y avait une figure avec des cornes, là-bas. Habillée en noir, avec des cheveux platine... Oui, c'était certainement lui. Cependant, une seconde figure semblait l'enlacer, sa tête plongée vers lui.
L'ayant trouvé, Kcalb s'arrêta, perplexe, et les observa sans pour autant oser aller les déranger. C'était leur moment à eux ; même s'il n'était pas mécontent de voir un visage familier, ce n'était pas son genre d'aller aborder les autres. Il se contenterait juste d'aller à la fontaine, sans se faire remarquer avec de la chance.
Alors qu'il tourna à nouveau de la tête et continua son chemin, il ne put que faire quelques pas avant qu'une voix qui lui était plus que familière ne l'interrompit.
« ...Lord Kcalb ?.... »
Emotions are uncontrollable.
Paralysé. Le corps du Diable était comme paralysé sur place. Lentement, ses yeux s'arquèrent sur la personne qui câlinait si férocement le second démon.
Il savait, au fond de lui, qui c'était. Il ne lui avait pas porté plus attention que cela au début, ne voyant que ses bras, le reste de son corps masqué par le dos du fils de Sin et Reficul. Mais... Cette voix. Cette façon de lui adresser la parole... Ce respect, cette admiration et cette envie, dans cette simple appellation. Rien que d'entendre cela alluma une flamme dans le cœur de Kcalb. Il était peut-être perdu dans un nouveau monde, mais ce nouveau monde pouvait lui apporter, à lui aussi. Peut-être n'était-il pas seul, ou simplement fou, d'entendre des voix qui provenaient de si loin dans son passé. Oh oui, il n'avait pas entendu ce ton, cette voix depuis si, si longtemps...
Et c'est là qu'il la vit. Une petite démone, à la longue chevelure rose, aux yeux fous qui semblaient pourtant vitreux et gorgés d'eau, cette robe noire et cette expression pleine d'espoir qu'il ne s'attendait pas à voir sur Rawberry.
Rawberry, pas Cranber. Peu importe à quel point sa voix était complètement Cranber, peu importe à quel point cette admiration, cette surprise et cet engouement étaient complètement ceux de Cranber, ce n'était pas elle. C'était impossible que Cranber soit encore en vie. Elle était morte lors de la guerre, il y a longtemps...
Et il le regrettait toujours. Si seulement il n'avait pas agi de manière stupide, il aurait pu prévenir sa mort - mais non. Il avait été égoïste. Il avait mené ses démons à leur mort dans une guerre sans but.
Lui et Ethiw avaient réincarnés ceux dont ils étaient le plus proches. Cranber n'était pas une exception - cependant, il ne l'avait pas réincarnée sous une forme, mais deux. Rawberry et Raspbel. Elles ne le savaient pas, mais elles étaient un portrait craché de leur préincarnation lors qu'elle était enfant et adolescente. C'était comme ça qu'il se souvenait d'elle, et il refusait de l'oublier, peu importe combien de temps allait passer. Il n'était d'ailleurs pas excessivement proche des deux réincarnations de son ancienne subordonnée, peu importe à quel point il l'aimait lorsqu'elle était vivante. Elles n'étaient pas pareilles ; ils n'avaient pas une histoire en commun, rien pour se rapprocher. Ils vivaient dans un monde en paix. Elles n'avaient pas besoin de lui.
... Il avait un étrange sentiment au fond de lui. À la fois, il regrettait horriblement d'avoir, ne serait-ce que pendant l'espace d'un instant, confondu Rawberry avec l'ancienne grande dévoreuse. Mais, à la fois, il ressentait une immense et soudaine joie. Il n'était pas seul. Il ne pouvait pas rentrer, mais il n'était pas le seul de son monde ici - ce qui n'était pas rassurant, car une enfant seule ici pourrait facilement se faire croquer. Mais, dans l'instant, il ne pouvait pas s'en empêcher - il sourit, sincèrement content.
« Rawberry. », dit-il, s'approchant soudainement du duo de démons.
Peu importe à quel point il aimait avoir l'air fort, il avait également ses moments de faiblesse. Il préférait habituellement les cacher, mais il avait énormément de mal à le faire. Sa surprise et son choc l'avaient comme momentanément adouci. Il n'était déjà plus ce qu'il avait un jour été, certes, mais peu d'habitants de Gray Garden pouvaient affirmer l'avoir un jour vu aussi vulnérable.
Une fois à proximité d'elle, il posa ses mains sur ses épaules, la tirant légèrement pour la séparer de Mors. Il voulait l'observer de lui-même, voir si elle était blessée. Cette enfant ne méritait pas la douleur de ce monde ; et, maintenant qu'il l'avait trouvée, il allait faire tout en son pouvoir pour la protéger. Il grimaça légèrement lorsqu'il vit qu'elle avait un bandage à la tête.
Il avait échoué la première fois. C'était une chance pour lui de se racheter auprès d'elle, qu'elle soit encore là ou pas pour le voir.
« ... Rawberry. Je suis si content de te revoir, tu n'as pas idée. », continua-t-il, ses lèvres levées dans un sourire d'apparence sereine, bien qu'une certaine rigueur de ses sourcils trahisse sa mélancolie intérieure.
Au fond de lui, un sentiment autre se mélangea à ce qui était déjà un véritable tourbillon émotif. C'était comme si... Comme s'il était face à sa solution. Ce qu'Eti lui avait donné - c'était comme s'il en avait réuni quelques fragments. Il n'avait pas encore réussi à assembler le puzzle, mais il se sentait moins brisé et perdu que lors de son réveil.
Il ne savait pas pourquoi. Il ne comprenait plus rien - sauf qu'il avait enfin retrouvé une partie de lui-même. Famille, disait son for intérieur, mais il ne comprenait pas encore pourquoi. Mais, il s'en contenterait.
Délicatement, il posa sa main sur la tête de la jeune démone, son visage reprenant une expression plus neutre, comme à l'habitude. Le tourbillon était passé ; son énergie soudaine sembla disparaître.
« ... Comment as-tu été blessée ? », demanda-t-il de la façon la plus calme possible, bien qu'on pouvait entendre une pointe d'inquiétude dans sa voix.
Le regard sur ton pokémon, tu te demandais encore pourquoi est-ce que tu restais là. C'est vrai que tu pouvais très bien partir et l'abandonner à son triste sort...Bien que tu savais très bien qu'il arriverait à te trouver facilement et à vivre seul.
Personne ne peut vivre seul. Bien que tu quémandes la solitude, rien ne vaut une petite présence. Aussi.... Dérangeante soit-elle. On peut sans doute dire que tu avais doucement commencé à t'y habituer.
Une poupée finit par rejoindre ton Vémini, qui cessa d'éclabousser les alentours, pour l'observer tout aussi curieusement...Avant de rire pour se redresser et de lui appuyer sur le nez. Vraiment sans gêne ce pokémon. Tout le contraire de toi.
Une voix étrangement familière finis par t'interpeller. Et comme tout bonne personne qui se respecte, tu tournas la tête en sa direction. Oh non. La folle a donc une petite soeur! Et tu n'avais même pas de plan de fuite sous la main ! Argh.
Bien vite, elle ne tarda pas à venir... Enlacer tes jambes ? Pourtant...Tu...N'éprouvas pas le besoin de la repousser, l'envie n'était pas présente actuellement. Même toi, tu ne comprenais pas ta propre réaction.
Néanmoins, sa dernière phrase à ton égard te perturba. Comme si c'était elle que tu avais fuie, eu lieu de Cranber....Ou alors la démone avait simplement raconté la scène à sa petite sœur. Tout aussi possible.
-Je....J'en avais besoin.
Car tu voulais vivre. Pas être dans un état constant de stress à savoir que ton prédateur guetter ta mort prochaine, comme un corbeau. Cela n'avait rien de très plaisant en tout cas.
Quelque chose cloche.
Finalement, le grand Devil finis par vous rejoindre à nouveau. Et quelle surprise ! La petite sœur de Cranber et Kcalb semblaient se connaître depuis très longtemps.Hm.... Sans doute qu'elle appartenait au monde de Gray Garden. Très possible même.
-Oh tiens. Voilà le vieux.
Te contentas de dire en levant les yeux au ciel. Et quel est ce sentiment de....Nostalgie? Hey non ! Tu ne pouvais pas avoir l'impression de le connaître ! Votre rencontre était encore toute jeune bon sang ! Tu lâchas un soupir, avant de pointer de ton index la démone.
-Je ne savais pas que...Cranber avait une petite soeur.....Pouvez vous la récuperer, s'il vous plait?
Pourquoi ? C’était la question qui traversait l’esprit de Cranber alors que son Roi adoptait un comportement étrange. Elle observait chaque trait de son visage avec de grands yeux qui laissait paraître une fausse innocence.
Rawberry.
Qui était cette personne ? Ne l’avait-il pas reconnue ? Une petite voix lui trottait dans la tête, lui chuchotant des réponses.
Peut-être qu’il t’a oublié. Peut-être qu’il a trouvé une meilleure démone pour te remplacer…
Elle ne disait rien. Kcalb lui avait demandé qui l’avait blessée, Mors avait répondu à sa question, mais ne semblait pas se manifester d’avantage. Cocoa-matcha restait près de la fontaine tandis que Bebe, qui venait de se faire toucher le bout du nez par la curieuse créature violette, s’amusait à en faire autant en gazouillant. La peluche vivante fit même apparaître un biscuit pour le donner à l’animal(?) boute-en-train en signe d’amitié. Cranber, elle, semblait totalement absente, interdite, ailleurs. Elle avait toujours les yeux rivés sur son Lord, mais ne disait rien, ne laissant aucune émotion transparaître. On aurait dit une statue ou une poupée grandeur nature…
Te remplacer..Oui...Personne ne veut d’un monstre tel que toi n’est-ce pas.
Cranber sentit tout d’un coup une douleur lui transpercer la poitrine. Une douleur qui la fit se reculer de quelques pas, s’écartant de Kcalb pour briser le contacte de ses grandes mains contre son petit visage inexpressif. Elle avait l’impression que son cœur se serrait étroitement au fond de sa poitrine. C’est ridicule, n’est-ce pas ? De se mettre dans un tel état pour de simple mots.
”Si j’avais su quel monstre, tu étais vraiment, je t’aurais détruite depuis bien longtemps.”
Une phrase qui semblait lointaine surgit dans son esprit, l'ébranlant légèrement. Elle connaissait cette voix. Elle l’entendait dans ses cauchemars. Rapidement, elle cacha son visage entre ses mains, elle ne voulait pas pleurer. Pas plus que les quelques larmes qu’elle avait versées.
-...Rawberry ? Petite sœur ?” S’enquit la démone en brisant enfin le lourd silence, adoptant une attitude totalement différente alors qu’elle révélait son visage qu’elle avait essuyé de ses mains. Elle souriait malicieusement et regardait les deux hommes. Ils ne fallait pas qu’ils sachent...Non, ils s’en ficheraient de toutes manières. Cette douleur était propre à Cranber et il suffisait de mettre un masque pour cacher tout le reste. C’était une très bonne menteuse. Très, très bonne. Il suffisait de prétendre que tout allait bien et que rien ne l’atteignait.
Comme d’habitude.
Elle pouffa innocemment en faisant un petit tour sur elle-même, la jupe de sa robe tournoyant joliment en révélant les dentelles de son jupon blanc.
-Que vous êtes drôle ! C’est moi, Cranber ~” susurra t-elle avec un plus grand sourire, ouvrant ses bras pour finir sa petite “présentation”. Elle pointa ses deux index vers son bandage.
-Et ça, c’est parce qu'un requin blanc m’a attaqué par surprise ! C’est ballot hein ? La prochaine fois, je lui ouvrirais ses entrailles et je l’étranglerais avec hihi ! Je suis sûre que ses dents feraient un joli collier...Ou un accompagnement pour la viande !” Fit-elle en tapant dans ses mains, visiblement ravie.
Elle avait envie de vomir. Vraiment. Elle voulait partir loin et disparaître. Elle ne supportait pas ce sentiment de réjection. Sa forme adulte lui manquait. Son état d’enfant avait plus de prise sur la réalité et elle ne voulait pas ressentir toutes ces émotions-là à nouveau. Cependant, elle ne voulait pas quitter Kcalb et Mors. non. Elle allait devoir faire avec.
-Mors-chun, tu aurais dû me dire si tu avais envie de prendre l’air, tu sais !” Continua t-elle en se rapprochant de lui, les bras toujours ouverts, une expression un peu effrayante remplaçant son innocent. Elle avait beau être plus petite et jeune, elle avait toujours cette expression de prédateur qui pouvait faire dresser le poil des plus courageux. La petite démone saisit la main squelettique de Mors et la posa sur sa tête en lui tirant la langue pour le taquiner.
-Je ne t'aurais pas croqué hihi~” fit-elle de sa voix la plus mignonne.
Après quoi, elle se rapprocha de Kcalb et fit une révérence, comme elle avait l’habitude de le faire lors de la guerre et s'agenouilla devant son Devil. Malgré tout ce temps et ce qu’elle traversait, il restait son roi.
-Lord Kcalb, je suis si heureuse de vous voir à nouveau. Je ne sais pas qui est cette Rawberry, mais je suppose que vous avez dû me remplacer suite à ma disparition durant le combat contre les anges.”
Elle parlait de manière sérieuse. Sa voix avait pris un ton mature et grave malgré son apparence juvénile. Elle releva la tête vers Kcalb en ayant un regard perçant.
-Si vous êtes ici... Permettez-moi de vous poser une question.”
Cette envie de vomir ne voulait vraiment pas partir.
Kcalb n'eut droit à aucune réaction. C'était comme si toute la joie de la jeune Rawberry était soudainement disparue. Face à cela, toutes les émotions visibles sur la visage du Diable laissèrent place à une seule d'entre elle, prédominante parmi toutes : l'inquiétude.
Peu importe à quel point elle le cachait bien, on ne pouvait pas ignorer les faits : il savait que quelque chose clochait. Une sorte de sentiment étrange naquit à l'intérieur de lui. C'était bizarre... Très bizarre. Il avait toujours eu du mal à voir ce genre de choses chez Rawberry. Elle n'était pas facile à déstabiliser. En plus de cela, ils ne passaient que peu de temps ensemble. Même s'il l'aurait vu, il aurait eu du mal à s'en rendre compte...
Il ne remarqua même pas que la petite démone avait fait quelques pas en arrière. Il se contenta de la regarder, l'air béat. Comment pouvait-il deviner le problème ? Il ne pouvait pas. Mais il savait une chose.
Ils n'étaient pas tous sur la même longueur d'ondes.
« ...Rawberry ? Petite sœur ? », demanda-t-elle, l'air confuse, brisant finalement le lourd silence qui s'était installé au cours des dernières secondes.
Quoi ? Comment ça, elle ne savait pas ?
Bien sûr, il s'était rendu compte qu'il y avait un problème. Cette fille avait beau avoir tout de Rawberry, elle n'agissait pas comme lui. « Lord Kcalb », cette énergie, ce sourire, ce questionnement... Non. Non ça ne pouvait pas être elle.
Elle était morte il y a bien longtemps, lors de la guerre. Assassinée par deux des anges les plus fidèles d'Etihw, les emmenant avec elle dans sa tombe, apparemment. Ils n'avaient retrouvé aucun corps, après tout. Peut-être avaient-ils simplement tout trois disparus, avaient été kidnappés... Mais ils n'auraient jamais déserté. La haine qu'ils se vouaient mutuellement était beaucoup trop acide et toxique pour simplement être oubliée du jour au lendemain.
C'était... C'était une enfant. Et elle était adulte depuis longtemps. Même si elle était en vie, la jeune démone en face de lui ne pouvait pas être la même personne. Peu importe à quel point cela lui faisait mal, peu importe à quel point elle lui manquait, peu importe à quel point cet espoir écrasé animait en lui des sentiments néfastes de déception et de deuil.
« Que vous êtes drôle ! C’est moi, Cranber ~ »
... Non. Non ce n'est pas possible.
Kcalb étouffa un sanglot. Non, c'était impossible. Ça ne pouvait pas être Cranber, une de ses démones les plus fidèles. Celle qu'il avait décidé d'aider. Celle qui était vaillante, énergique et fofolle. Celle que tout le monde craignait, mais qu'il aimait. Celle qu'il avait perdue, à trois reprises. L'ancienne elle, et même les nouvelles. Il n'avait jamais réussi à les garder près de lui. Non. Aucune d'entre elles.
Il n'avait jamais perdu les traces de Yosaflame, mais il n'avait jamais réussi à rester près de Cranber et Lost. C'était certains de ses plus grands regrets.
Et là. Et là, elle était de retour. Comme si c'était évident que c'était elle, et personne d'autre. Une entrée en grand, par l'extravagante, la joyeuse et pétillante Cranber. Comme si elle n'était jamais partie.
Comme s'il ne l'avait jamais crue morte.
« Et ça, c’est parce qu'un requin blanc m’a attaqué par surprise ! C’est ballot hein ? La prochaine fois, je lui ouvrirais ses entrailles et je l’étranglerais avec hihi ! Je suis sûre que ses dents feraient un joli collier...Ou un accompagnement pour la viande ! »
Malgré ses propos outrageux qui auraient dû lui donner une envie virulente de la disputer, Kcalb ne le fit point. Non, il se contenta de l'observer, les yeux ronds comme des soucoupes pendant un instant. Comme s'il venait de retrouver un trésor perdu pendant des millénaires.
Il approcha ses mains de son visage et se frotta les yeux. Ses joues étaient teintées de rouge, et, si on regardait bien, on pouvait presque voir... De l'eau dans ses yeux.
Non. Non il ne pleurait pas. (Oui. Oui, il pleurait. Il le cachait mieux que son embarras, cependant. Important point à souligner.) Malgré tout, on pouvait voir un sourire tirer ses lèvres vers le haut. Ce spectacle était rare chez un homme essayant de se montrer aussi rigide que Kcalb. Ceux qui le connaissaient le savaient.
Heureusement, l'attention de la dévoreuse était actuellement sur Mors plutôt que lui. Il se sentirait embarrassé si on se rendait compte qu'il faisait quelque chose d'aussi peu viril que de pleurer. Cependant, après un moment, elle se retourna vers lui, l'air sérieux. Comme si toute sa joie de vivre était à nouveau partie, laissant en elle la servante dévouée qu'il connaissait autrefois.
« Lord Kcalb, je suis si heureuse de vous voir à nouveau. Je ne sais pas qui est cette Rawberry, mais je suppose que vous avez dû me remplacer suite à ma disparition durant le combat contre les anges. Si vous êtes ici... Permettez-moi de vous poser une question. Avons-nous vaincu Etihw et ses tyrans d’anges ? », demanda-t-elle.
Snif. Oh.
Déjà, il avait complètement brisé sa couverture en reniflant. Si elle ne l'avait pas vu pleurer, elle le saurait maintenant. Et, ensuite... QUOI. Oh mon - il devrait lui expliquer tout ce qui s'était produit dans le monde de Gray Garden depuis sa disparition soudaine, hein ? Ce serait... Plutôt délicat. (Elle le prendrait oh mais TELLEMENT MAL.) Hésitant, il se força cependant à garder face et à lui répondre. Il devait commencer par mettre les choses au clair avant de fêter leurs retrouvailles.
« Hum... Ce n'est... Pas une courte histoire. », commença-t-il. « Nous devrions nous installer, ça risque de prendre un moment. Toi aussi Mors. Tu as le droit de savoir ce que ta mère faisait, aussi loin de son propre royaume. »
Fidèle à sa parole, le démon monochrome se dirigea vers la fontaine et s'installa sur son rebord, s'y asseyant de façon droite. On aurait presque pu imaginer une tasse de thé devant lui.
« Alors. Déjà, Cranber, sache que la guerre s'est terminée. Suite à ta disparition, elle a continué pendant longtemps encore, mais... », commença-t-il. « Les détails sont peu importants. La guerre s'est finie quand j'ai... coupé l’œil de l'ange en chef d'Eti. Wodahs. Mon frère. ... Il a réalisé à quel point cette guerre n'avait aucun sens, et il nous l'a fait comprendre, à Eti et moi. À partir de là, nous avons recréé le monde main dans la main. Plus en tant qu'ennemis, mais en tant qu'alliés. Villages, forêts, cavernes... Il ne reste du que passé le sceau de mon emprisonnement, le cimetière et l'arbre à l'épée. », expliqua-t-il. « Il n'y a eu malheureusement que six survivants. Du côté des anges, il y a Wodahs et Alela. Et, du côté des démons... Il ne reste qu'Ater, Arbus... Et toi. », continua le Diable, son ton légèrement attristé. « Alors, pour repeupler ce monde, nous avons créé de nouvelles formes de vie. Démons comme anges. Animaux, végétation... Et, parmi elles, nous avons réincarné certains de nos camarades passés en leur honneur. Rawberry et Raspbel sont un peu tes réincarnations en quelque sorte. ... Elles sont exactement comme je me souviens de toi. Rawberry est une enfant. Comme tu l'es, en ce moment. Je suis sincèrement désolé de vous avoir confondues, mais... Je ne m'attendais pas à te revoir. Je ne pensais jamais pouvoir te revoir. C'est ton portrait craché, mais elles ne sont pas comme toi. Les mêmes tendances, certes, mais... Je n'ai jamais été proche d'elle comme j'ai été proche de toi. Cranber. Tu ne sais pas à quel point je suis heureux que tu sois ici. ... Enfin. Je n'ai toujours pas fini mon histoire, hein ? Un jour, une chauve-souris enflammée est tombée dans le jardin. C'était le début de l'invasion de Gray Garden. Un autre Devil, Ivlis, était venu avec ses subordonnés dans notre monde. Il avait torturé Wodahs, capturé quatre jeunes enfants, Yosafire, Rawberry, Macarona et Froze, et les avait enfermées. Heureusement, Mors, ta mère était là pour aider mon frère, et plus tard Arbus et Ater. Il avait emmené Eti dans son monde, loin de là où elle aurait pu nous aider. Et il m'a combattu. J'étais rouillé. Dans le monde, il n'y a presque rien qui nécessite mon intervention personnelle. J'ai eu du mal à le combattre. J'étais au bord du précipice. ... Un bras en moins et plus aucunes forces. Seulement, les quatre filles sont arrivées. Elles l'ont combattu, mais n'arrivaient pas à remporter la victoire. » Il se stoppa pendant un bref instant. « Tu te souviens du sort que je devais lancer sur Eti ? ... Je ne l'ai jamais utilisé. Wodahs m'a arrêté avant. Non. Je l'ai utilisé sur Ivlis. Il avait envahi notre monde pour voler mes pouvoirs, sachant ce que j'avais fait et pourquoi je ne les méritais pas, mais il a fini sans les siens. », annonça-t-il.
Il avait volé les pouvoirs d'Ivlis, le Diable du monde souterrain. Il ne les avait jamais utilisés, il n'étaient pas siens et il ne savait point s'en servir. Mais il avait considérablement affaibli ce dernier, assez pour qu'il se fasse vaincre, même par quatre écolières. Sort ironique, pour quelqu'un qui semblait aussi fort et déterminé.
Et oui. Kcalb ne pensait pas qu'il avait mérité d'être sauvé, par après. Et il ne pensait toujours pas que sa vie valait toutes celles qu'il avait prises. Cependant, il avait accepté qu'il n'était plus celui qu'il était autrefois. Le Diable n'allait plus se refuser l'amour et la compassion des autres, si seulement on daignait bien lui accorder. Ah, Eti lui manquait... Elle n'allait jamais cesser de le surprendre. Leur relation avait fait un cent-quatre-vingt degrés depuis l'époque, et ils étaient désormais... amants. Ça, par contre, il pourrait l'annoncer à Cranber plus tard. Le choc pourrait être trop gros pour elle, qui ne sortirait sûrement déjà pas de cette conversation sans regrets et sentiment de trahison de la part de son ancien Lord.
Cranber? C'était Cranber? Visiblement, tu avais un peu du mal à y croire. D'un autre côté...Ton raisonnement avait été un poil stupide. Tu lâchas un soupir, écoutant distraitement les paroles de Kcalb...Qui proposa de s'asseoir, afin de pouvoir conter une longue histoire. Qui te concerne aussi, à cause des actes de ta reine. Tu haussas un sourcil, avant d'aller t'asseoir sur le rebord de la fontaine, posant tes mains sur tes genoux... Avant qu'un Vémini sauvage ne daigne sortir de l'eau, pour s'installer sur tes jambes. C'est un enfant après tout. Les histoires l'attirent comme une mouche. Et puis....Si cela permet de le garder calme un petit moment, tu n'étais pas contre.
Ainsi, tu écoutas le Devil, apprenant une histoire qui....Ne te concernait pas vraiment en fait. Ta reine avait simplement agi de manière juste, en sentant un danger potentiel. Et encore. Tu jugeas le Ivlis comme une sorte de cafard. Ta mère n'aurait même pas dû se déplacer pour un abrutis de diable en quête de pouvoir. Pff. Il aurait dû venir dans le monde de Reficul. Oh oui. Ivlis ne s'en aurait pas simplement sortis avec la perte de ces pouvoirs. Mais dans un état bien plus lamentable.
Mais... Pourquoi est-ce que cela te touche autant ? Ce n'était pas ton problème, et voilà déjà que tu haïssais des... Nuisibles que tu ne verras sans doute jamais.
- Si vous avez besoin d'intimité entre vous deux, je peux m'éloigner.
Demandas-tu poliment. Tu ne voulais pas empiéter sur les retrouvailles d'un devil et d'un...De ces sbires ? De plus, cela devait être de sacrer informations pour Cranber , elle allait sans doute avoir beaucoup de questions...Où être encore plus bizarre de d'habitude. Actuellement, tu avais très envie de ta cacher derrière la fontaine, en cas de réactions inapproprié.
-En tout cas, je suppose que Lord Reficul a simplement fait son travaille. Rien de plus, rien de moins.
Dis-tu simplement en haussant les épaules. De plus, il y avait un certains Lowrie, autrefois dans le monde de ta mère aussi. Sans doute, avait-elle voulus le protéger, à sa manière ? Tu ne sais pas. Tu possèdes peu de contact avec elle. Autant tu connaissais Sin sur le bout des doigts, autant Reficul...Tu lui avais simplement collé l'étiquette de "grande reine à respecter à vie et à ne pas décevoir".
Mais passons. Ce n'est rien de très important pour le moment. Mais il reste quand même une...Dernière question.